BÉRÉCHITE (Genèse)
CHÉMOT (Éxode)
VAYIKRA (Lévitique)
BAMIDBAR (Nombres)
DÉVARIM (Deutéronome)

 

 

La Jérusalem d’en-Haut et d’en-Bas.

Une vieille légende raconte : lors de la destruction du  premier Temple détruit en l’an 586 av. par Nabuchodonosor, roi de Babylonie, de jeunes prêtres prirent les clés du sanctuaire , se hissèrent jusqu’au toit du Temple, et crièrent vers l’Eternel : ‘’Maître de l’univers, n’ayant pas eu le mérite d’être tes fidèles serviteurs dans ce Temple détruit, nous te confions la garde de ces clés’’.Et ils les projetèrent vers le ciel. Une paume de main est apparue et les prit (Taanit 29 a). Ces clés du Temple détruit qui se sont envolées vers le ciel, emportent également l’indépendance du peuple d’Israël, exilé de sa terre. L’heure de la délivrance est conservée dans le secret du ciel, jusqu’au jour où elle poindra pour faire réapparaître la splendeur d’antan  du peuple d’Israël et de son sanctuaire. La même image s’est reproduite lors de la destruction du second Temple et de l’exil amer de la majeure partie des habitants de Jérusalem dans les contrées proches et lointaines.

 A notre époque,  voici près d’un siècle, le peuple juif dans la diaspora, oscillait entre l’exil et la délivrance, la destruction,  la désolation et la reconstruction, le renouveau national. D’aucuns soutenaient  qu’il est possible de demeurer encore dans cet état de dispersion, et de vivre au sein d’une société jouissant d’un bien-être, où chacun dans ses limites, semble mener une existence tranquille et paisible. Et ce, attendant et espérant toutefois que subitement s’ouvrent les portes de la miséricorde  et que des miracles et des prodiges se réalisent, et qu’enfin éclate au grand jour la sauvegarde  d’Israël . Loin de nous  cette pensée de croire que subitement l’Eternel descendra du ciel et se manifestera à son peuple pour lui dire : ‘’sortez !’’. Ou qu’Il envoie un messager subitement, de manière inattendue,  et fasse retentir le son du grand choffar, de la corne du bélier, pour appeler au rassemblement, tous les dispersés d’Israël, à Jérusalem. Ou encore , qu’il érige une muraille de feu pour protéger le peuple juif et rebâtisse le Temple en le faisant descendre du ciel, comme cela est décrit par certains prophètes. Ces rêves utopiques et évanescents, n’ont qu’une existence éphémère.  Certes, les visions prophétiques se réaliseront à la fin des temps, et aucune des paroles de nos prophètes ne demeurera vaine. Néanmoins, cela ne s’accomplira pas avec précipitation, dans la hâte, mais une étape après l’autre, suivant un lent cheminement  et un rythme naturel et progressif, avec la volonté de l’Eternel. 

Le grand Rabbin Kook décrit dans son livre ‘’ Les lumières de la Téchouva’’, l’évolution du processus qui mène à l’avènement messianique, et déclare que la rédemption avait perdu de sa grandeur et de sa pureté, en prenant effet parmi les hommes. La raison de sa dégradation s ‘explique par le fait que des personnes indignes se sont emparées d’elle et ont terni sa beauté. Mais, ajoute le Rabbin Kook, cette déchéance n’est pas inéluctable et définitive, car il n’est pas possible que le bien spirituel se métamorphose en mal. Ce n’est qu’une chute momentanée. Cet état de décadence servira de tremplin pour une élévation spirituelle et morale qui mènera à la rédemption définitive. Actuellement, le processus de la délivrance d’Israël est mis à bas, jeté à terre, car des détracteurs au sein du peuple, profanent sa nature sacrée. Mais dans les temps à venir, les personnes délicates et précieuses se réveilleront et prendront conscience de la présence de cette délivrance; elles insuffleront alors une force de vie nouvelle au mouvement de résurrection juive et la rehausseront à son sommet d’antan.

Nous  nous trouvons aujourd’hui sur la ligne de démarcation entre une résurrection matérielle et spirituelle. Cet état nous rappelle la vision prophétique des ossements desséchés du prophète Ezéchiel, qui décrit les ossements du peuple juif qui se rassemblent pour former un seul corps :’’ Ainsi parle le seigneur D… - voici, Je vais prendre les enfants d’Israël d’entre les nations où ils sont allés, Je les rassemblerai de toutes parts et Je les conduirai sur leur territoire …. Et les nations sauront que Moi l’Eternel Je sanctifie Israël, puisque mon sanctuaire sera au milieu d’eux pour toujours’’ (Ez. XXXVII – 21 – 28).

Nous aussi, nous sommes des tisons tirés des flammes, des rescapés rassemblés des quatre coins de la Terre.  A une grande partie de ces personnes, on peut appliquer l’expression du verset :’’le souffle ne les anime pas’’. Et nous croyons que chez nous également, comme pour ces ossements desséchés, se réalisera en fin de compte le verset :’’ je vous insufflerai et vous vivrez …’’ . La délivrance d’Israël obéit à cet ordre, en premier la sauvegarde physique et après celle de l’esprit. A l’instar de l’affranchissement physique des enfants d’Israël de l’asservissement en Egypte, suivi de la révélation au Sinaï et de la promulgation de la Thora, constitution du peuple juif, nous avons connu en notre temps, l’indépendance d’Israël, son établissement sur sa terre ancestrale, suivi de la libération de Jérusalem, ville sainte, siège de la résidence divine dans le Temple.  

Comme disent nos Sages dans le Talmud (Taanit 5a) :‘’ l’Eternel dit : Je ne viendrai à Jérusalem d’en haut que lorsque Je serai venu dans celle d’en bas ‘’.Et cette Jérusalem d’en bas est décrite par le prophète Zacharie : ‘’De nouveau, des vieux et des vieilles seront assis sur les places de Jérusalem ; tous un bâton à la main à cause de leur grand âge, et les places de la cité seront pleines de jeunes garçons et de jeunes filles qui s’ébattront sur ces places’’  (Zach. VIII -  4, et 5).

  

Colloque : Yéroushalaïm 

Conférence du Grand Rabbin Chalom Benizri de la Communauté Sépharade de Bruxelles au cercle Ben Gourion, le 18 novembre 2001. 

Il est habituel d’entendre dire ces derniers temps, et même d’affirmer haut et clair, que Yéroushalaïm est une ville sainte pour les trois religions monothéistes. Il faut reconnaître cependant qu’il existe une distinction essentielle entre la dimension supplémentaire qu’elle occupe depuis toujours dans la conscience du peuple juif. Dans la mesure où elle fait corps avec lui, elle est dans son cœur et sa mémoire, son espérance et sa vie au quotidien. Yéroushalaïm  s’inscrit pour ainsi dire dans le prolongement du peuple juif qu’elle habite. C’est pour tout cela qu’elle est appelée  ‘’ville sainte’’. Le cachet de sainteté qu’elle revêt prend son sens et sa signification notamment dans les différents noms qui lui sont attribués ‘’ir - hakodech’’, ville sainte ; ‘’ir haémeth, ville de la vérité ; ‘’ir Elokim’’, la ville de l’Eternel….  

Le sacré qui repose sur un lieu, un objet, une parole, un peuple, un esprit etc.. , se situe sur le plan de l’éthique, de la morale, du social, qui mènent à la sublimation, à l’absolu, à la perfection. Le sacré que revendique le peuple juif touche trois domaines. Celui de la mémoire de l’histoire, celui de son existence et celui de sa nature d’état juif, dans le sens d’une solidarité créatrice, ‘’ir chéhoubéra lah yahdav’’, ville unificatrice pour toute l’humanité.

Le sacré s’identifie à la conduite, à l’attitude, et davantage encore au principe moral de l’Eternel, créateur et dirigeant de l’univers. Le sacré n’est nullement une force transcendante détruisant la vie et réclamant des sacrifices humains. Le judaïsme a pour rôle d’humaniser le sacré.

Le but recherché par le mode de vie préconisé par la Thora à travers les mitzvoth, c’est faire de l’homme un collaborateur de l’Eternel. C’est dans la relation de panim el panim, d’un face à face de l’humain et du divin, que se noue la Kédoucha, ainsi que dit l’Eternel ‘’vihyétem kédochim ki kadoch Ani’’ ‘’soyez saints car Je suis saint, dit l’Eternel.’’

Le Midrach enseigne : le titre de gloire qui recouvre, tel un diadème, Yéroushalaïm, est renfermé dans son nom.

Dès l’aube de l’humanité, Shem fils de Noé, nomme ce lieu Shalem - état de perfection -   Shem est identifié à Malki Tsedek, roi de Shalem, roi de la justice en quête de perfection.

Le patriarche Avraham dénomme cet endroit Ado-Naï yiré, D… pourvoiera .

Et le texte de la Thora poursuit : d’où l’on dit aujourd’hui ‘’Sur le mont de Ado-naï yéraé, D… se révèlera’’.

Et l’Eternel associa le nom Shalem et le nom Yéraé, et appela ce lieu Yéroushalaïm.

Nos Sages enseignent que la désignation de cet emplacement s’est tissée non seulement sur la trame de l’histoire que connut le peuple juif, mais également sur celle de toute l’humanité. C’est en cet endroit, nous rapporte la tradition, que le premier homme a présenté sa première offrande à l’Eternel. C’est là aussi que l’Eternel agréa le sacrifice de Hevel. C’est encore là que le patriarche Avraham a surmonté l’épreuve de la ligature d’Isaac. Enfin, c’est en ce même lieu que le patriarche Yaakov a rêvé de cette échelle qui se projetait sur Jérusalem, et qui proclama à son réveil : ‘’Ce lieu redoutable n’est autre que la maison du Seigneur, c’est ici la porte du ciel’’ (Gen. XXIX – 17).

Il faut souligner que le caractère sacré qui se dégage de Yeroushalaïm n’est pas lié uniquement à un espace géographique ou territorial.

Le Talmud dénombre, parmi les sept choses qui furent créées avant que le monde ne vint à l’existence, le Temple à Jérusalem, lieu de résidence de la sainteté de l’Eternel (Psahim 54 a).

Le Midrach Vayikra Rabba enseigne : ‘’D… examina toutes  les cités et n’en trouva aucune où le Temple pût être érigé, excepté Yeroushalaïm’’ (XIII – 19).

Il ressort de ce premier aperçu que la sainteté conférée à cette cité prend source dans sa prédestination territoriale et dans le Temple qui s’y trouve. Cette conception mystique de l’importance métaphysique de Jérusalem s’exprime à travers ces mots de Maïmonide : ‘’La sainteté octroyée à Yeroushalaïm s’inscrit d’une part dans le projet à venir de l’humanité et du pays d’Israël, agrémentée de toutes les mitzvoth, des prescriptions religieuses qui y sont attachées ; et d’autre part, par celle de la présence du Temple, lieu d’élection de la Chékhina, de la présence divine’’. 

Cette cité vivante ne peut être comparée au mont Sinaï où les enfants d’Israël assistent à la théophanie, à la révélation de l’Eternel et à la promulgation de la Thora. Au sujet du mont Sinaï, le texte dit : ‘’Toute personne qui portera la main sur lui, cessera de vivre’’ (Ex. XIX – 12). Le caractère sacré qui l’enveloppait s’est estompé dès l’instant où la présence divine s’en était retirée. Comme l’atteste le texte : ‘’Au dernier son du choffar, ceux-ci monteront sur la montagne’’ (Ex. XIX – 14).

Il n’en est pas de même pour Yeroushalaïm.

Ce lieu d’élection est proclamé depuis la nuit des temps comme la résidence permanente de la présence divine au sein de l’humanité. C’est l’endroit de prédilection pour l’édification du Temple sur terre, en vis à vis du Temple céleste. D’où la permanence et la pérennité de son attribut de lieu saint, même lorsqu’il se trouve en état  de ruines et de désolation.

Yéroushalaïm demeure toujours vivante dans le passé et dans l’avenir, car elle est la ville de la prophétie, ‘’Hachem yéraé’’  D… se dévoilera à ses messagers.

Les témoignages des prophètes parsèment nos écrits et les traversent de part en part à son sujet. Soulignons que le nom de Yéroushalaïm apparaît 656 fois dans la Bible.

La cité du Roi David, siège du Sanhédrin, cour suprême antique de l’état hébreu, la ville de Yéroushalaïm,  demeure, de génération en génération, même durant notre exil, non un amas de ruines, mais une cité vivante enfouie dans le cœur du juif. Dispersé aux quatre coins du monde, le peuple juif n’a jamais cessé de réaffirmer sa très profonde aspiration à retourner vers Yeroushalaïm et vers Sion, la terre d’Israël. Jérusalem représente de tous temps pour le peuple juif, plus qu’une ville. Elle fut et demeure une prière, un concept, une promesse mystérieuse pour l’existence et la survie du peuple juif. Lorsque les Juifs prient à Montréal ou en quelque lieu de par le monde, ils se tournent vers Jérusalem ; alors que les musulmans et les chrétiens se trouvant même à Jérusalem, orientent leurs prières vers La Mecque, ou tournent leurs pensées vers Rome.

Depuis l’aube de la nation juive jusqu’à son affranchissement de nos jours, Jérusalem est profondément enracinée au fond du cœur du judaïsme authentique. Elle est le nombril de l’existence juive et le trait d’union entre la terre et le ciel.

Jérusalem et le peuple d’Israël se fondent en un. En toutes circonstances et en toutes situations, ils partagent en commun le deuil et la joie, la destruction et la délivrance. Au jour anniversaire de la destruction du premier et du second Temples, un deuil est observé. C’est un jour de jeûne qui débute au coucher du soleil pour se terminer le lendemain à la tombée de la nuit. Assis à même le sol, on récite les textes des ‘’Lamentations’’ et celui intitulé ‘’Ekha’’ : 

‘’Hélas, comme elle est assise solitaire la cité naguère si populeuse’’(Ekha v. 1).

Aux personnes endeuillées, nous leur adressons cette parole de réconfort : ‘’Que l’Eternel vous apporte la consolation avec tous ceux qui partagent le deuil pour la terre de Sion et pour Yeroushalaïm’’.

En des moments de bonheur, lors d’un mariage, de la consécration d’une union, le marié brise un verre et déclare avant cela : ‘’Si je t’oublie jamais Jérusalem, que ma droite me refuse son service (traduction mot à mot : devienne oublieuse !) que ma langue s’attache à mon palais, si je ne me souviens toujours de toi, si je ne place Jérusalem au sommet de toutes mes joies’’ (Ps. CXXXVII – 5, 6). 

Ce n’est nullement un simple serment de fidélité à Jérusalem et à la terre d’Israël. C’est le rappel du devoir du retour qui jette une ancre d’espoir, de stabilité, d’un havre de paix, d’un engouement pour les Juifs éprouvés, ne trouvant pas de repos, et ballottés en permanence. Le peuple juif a toujours nourri l’espoir de voir se réaliser les paroles du prophète Isaïe : ‘’Lève toi ô Jérusalem, sois resplendissante, car ta lumière s’est rallumée, la gloire de l’Eternel brille à nouveau sur toi’’ (Is. LX – 1). Bientôt les nations aussi marcheront à ta lumière, les souverains à la lueur de ton flambeau (v. 3). Lève tes yeux à l’entour et regarde : les voilà tous rassemblés ; ils reviennent chez toi : tes fils arrivent de bien loin et tes filles aussi, portés dans tes bras(v.4) ‘’  . 

 Et ce moment tant attendu s’est concrétisé le 28 du mois de Iyar 5727. Notre génération en est le témoin privilégié.

Yeroushalaïm est le symbole, non seulement de notre délivrance spirituelle, mais elle est également la source de la bénédiction qui se répand dans notre existence de génération en génération.  Comme dit le psalmiste : ‘’Que l’Eternel te bénisse Sion, puisses-tu goûter le bonheur de Jérusalem tous les jours de ta vie, puisses-tu voir les fils de tes fils, paix sur Israël’’ (Ps. CXXVII – 5 et 6).

Yeroushalaïm cristallise l’espérance du peuple juif, suivant l’expression du prophète : ‘’Sion sera sauvée par le justice et ses rapatriés de l’exil par la vertu’’ (Isaïe I – 27). 

Chaque nuit du Seder est ponctuée par ce vœu solennel et émouvant : ‘’Lé chana habaa biroushalaïm habénouya’’, ‘’l’année prochaine à Jérusalem rétablie dans sa splendeur’’. C’est là notre devise, notre leit-motiv transmis de génération en génération. Nous aspirons sans cesse et toujours à la délivrance et à la rédemption dans le secret de notre âme.  Cette nostalgie de la résurrection nationale, de l’indépendance spirituelle, à travers toutes les tribulations parmi les nations, nous berce et nous nourrit constamment. Depuis la tendre enfance au sein de la mère, cette vision merveilleuse  habite notre imaginaire et nos rêves.

Les membres de la Grande Assemblée, rédacteurs de la prière silencieuse que nous élevons à l’Eternel trois fois par jour, résument cela à travers la bénédiction de la reconstruction de Jérusalem : ‘’Réside au sein de Jérusalem ta ville, comme Tu l’as dit, installes-y rapidement le trône de David ton serviteur, et construis le pour l’Eternité sans tarder et de nos jours. Toi D…Tu es la source, ô Eternel bâtisseur de Jérusalem’’.

Peu à peu, étape par étape, la délivrance se réalise. Le retour à Jérusalem des exilés, le retour de la présence divine, la restauration du royaume davidique et la construction de Jérusalem, comme dit le texte de la Thora. ‘’L’Eternel ton D…, …. mettra un terme à ton exil et Il te rassemblera du sein des peuples.’’

Selon l’enseignement de nos Sages, la présence divine vit également en exil et elle en sortira lorsque le peuple d’Israël sera rétabli sur sa terre et que Jérusalem sera complètement rebâtie. Alors, le sanctuaire, le Temple, surnommé dans notre prière ‘’devir’’ de la racine ‘’davar, parler’’, prendra tout son sens et servira de lieu le plus intime où D… et l’homme se parlent parce que les hommes auront appris à se parler et à s’entendre.

Je voudrais conclure en rappelant cet enseignement de nos Sages qui figure dans la première partie des textes qui composent notre prière quotidienne, consacrés au monde de l’action. Celle-ci est introduite par l’histoire de la ligature d’Isaac, et nous indique que la manière idéale d’adorer D…, c’est d’être à l’instar des patriarches Avraham et Isaac, et nous tenir prêts à répondre : me voici au service du créateur et à l’écoute de son appel, non d’une divinité cruelle et sanguinaire, mais devant D… qui enseigne le respect, la morale universelle, la justice et la charité. Comme en témoigne le texte :’’Si Je l’ai distingué, dit l’Eternel, c’est pour qu’il prescrive à ses fils et à sa maison après lui, d’observer la voie de l’Eternel, en pratiquant la vertu et la justice’’. 

Ce premier palier ans notre ascension spirituelle à travers la prière, est couronné par cet enseignement de Rabbi Yehouda ben Tema qui nous recommande :

Sois audacieux comme le tigre, léger comme l’aigle, rapide comme le cerf, fort comme le lion, pour accomplir la volonté de ton père qui est aux cieux’’ (Maximes des Pères V – 21). 

En d’autres termes, le judaïsme exige l’utilisation de toutes nos facultés mentales et physiques pour défendre une cause noble. C’est alors que nous pouvons solliciter de l’Eternel de nous permettre la construction du troisième Temple qui inaugurera l’ère messianique.

Si le déracinement des uns et des autres nous a permis de transcender le temps et l’espace par delà les vicissitudes de la vie, notre cœur vibre à l’unisson avec toute personne qui évolue vers un idéal de vie symbolisé par cette prière vibrante à Jérusalem : ‘’Puisse la paix se répandre sur le peuple juif et sur toutes les nations’’. 

Chant : Im Echkahekh Yeroushalaïm.

 

Poussière et cendres 

Le Talmud rapporte cette homélie de Rava : ‘’ Pour avoir dit…. ‘’….J’ai voulu parler à l’Eternel, moi, poussière et cendres !’’(Gen. XVIII – 27), le patriarche Avraham eut pour récompense de voir ses descendants mériter ces deux ordonnances de la Thora, la cendre de la vache rousse et la poussière du sol du Tabernacle prélevée pour la femme soupçonnée d’adultère (Sota 17 a). Cet enseignement repose sur l’analogie des termes ‘’vé anokhi afar vaefer’’ employée par le patriarche Avraham et que l’on retrouve dans la prescription de ‘’efer hapara’’ la cendre de la vache rousse, et celle de ‘’ afar sota’’ la poussière pour la femme appelée  sota, la déviée. Ces deux mitzvoth sont exposées dans le Sefer Hahinoukh : 

1) La Thora ordonne à la communauté d’Israël de brûler une vache rousse afin que ses cendres soient disponibles pour la purification des personnes qui se sont souillées au contact d’un mort (Nbres XIX – 2 à 9) 

2) Il est fait obligation à la personne dont la femme s’est détournée de ses devoirs d’amener celle-ci devant le Cohen au Temple, afin que lui soit appliquée la loi prescrite par la Thora : ‘’Le Cohen puisera de l’eau sainte dans un vase d’argile, prendra de la poussière se trouvant sur le sol du Tabernacle et la mettra  dans cette eau’’ etc….

L’homélie de Rava offre clairement dès la première lecture la relation existant entre l’expression de la profonde humilité dont use la patriarche Avraham, ‘’vé anokhi afar vaefer’’, signe d’un dévouement et d’une abnégation totale et la pureté que procure l’eau lustrale mêlée à la cendre de la vache rousse. Une grande difficulté apparaît par contre  en ce qui concerne la corrélation avec la Sota. Quel lien relie l’attitude noble du patriarche Avraham et les soupçons de dépravation qui pèsent sur la femme sota? Le développement de l’enseignement de Rava réclame quelques éclaircissements. Rappelons que la pulsion initiale à l’origine du penchant de la libido s’inscrit dans la nature innée chez toute créature de l’Eternel pour en assurer la perpétuation. Seule la déviance et la déchéance  dans l’abîme de la débauche créent des troubles de cette nature originelle. Il faut souligner par ailleurs que la pierre angulaire fondement du monde, s’exprime  à travers le pouvoir du don, de l’altruisme. Comme dit le psalmiste : ‘’Le monde est édifié sur la bonté’’(Ps.  LXXXIX – 3) . Divers attributs participent à la direction de l’univers par l’Eternel ; mais la bonté a un renom particulier, elle est le maître étalon, elle est la vertu fondamentale de l’existence. 

Le Midrach Soher Tov rapporte :’’Lorsque le patriarche  Avraham dit au roi Malki Tsedek  (nom attribué à Chem fils de Noé) : -Quel mérite vous a valu de sortir de l’arche ? –Nous pratiquions la tsedaka. Avraham lui rétorqua : - quel genre de tsedaka faisiez-vous ? y avait-il des  pauvres ? Il lui répondit : Pour les bêtes, les animaux et les volatiles. Nous passions la nuit à les nourrir.’’ Noé et ses enfants ayant réalisé que la volonté de l’Eternel est de servir de modèle pour l’édification du monde et non la recherche d’une perfection personnelle, eurent le mérite de sortir de l’arche pour réaliser leur dessein. Et Noé eut pour disciple le patriarche Avraham, comme l’atteste le Midrach : ‘’Suite à la réponse de Malki Tsedek = Chem, Avraham s’est fait la réflexion : ‘de même que Noé et ses enfants ne furent sauvés du déluge que par l’exercice de bonté dont ils firent preuve, de même devrai-je me comporter envers mes prochains.’’    Il entreprit de planter un ‘’echel’’, arbre, à Beer Cheva. Le mot ‘’echel’’ est l’abréviation de : akhila, nourriture ; chetiya, boisson ; lina, couche.(origine des resto’s du cœur !) C’est cette bonté d’Avraham qui représente le fondement de la communauté d’Israël. La bonté implantée dans les profondeurs du cœur de tout être est la clé de voûte de l’existence du monde. C’est pourquoi il est dit :’’Il n’est pas bon que l’homme soit solitaire’’ (Gen. II – 18). 

L’homme doit partager ses sentiments et ses expériences et se fondre dans le tissu social. La joie du don est un des plaisirs les plus nobles. Ainsi l’homme se trouve partagé entre  deux penchants naturels qui l’habitent et se confrontent continuellement. Naturellement porté à la volupté, il tend à chercher les plaisirs et les profits , même au détriment  de son prochain. D’autre part, l’homme porte en lui naturellement le sens du sacrifice, de l’abnégation et de l’altruisme. La quête de la perfection de sa vie intérieure, de sa plénitude, réclame de lui qu’il se mêle à la société et lui donne le meilleur de lui-même. Alors que la première pulsion le pousse à recevoir, à prendre, à s’accaparer , la deuxième l’incite à se dévouer et à se donner. Ainsi donc tout penchant à la bonté, tout éveil à l’altruisme dans l’acte ou dans la pensée, est le fruit d’une abnégation intérieure. Ces deux penchants opposés s’agitent en l’être humain. Celui-ci peut maîtriser l’une  ou l’autre inclinaison. Comme enseigné dans le traité des Pères : ‘’Il y a quatre types d’homme :-celui qui dit : ce qui est à moi est à moi et ce qui est à toi est à toi. C’est le type moyen ; et d’après certains, c’est celui de Sodome.

-ce qui est à moi est à toi et ce qui est à toi est à moi. C’est le type populaire.

-ce qui est à moi est à toi et ce qui est à toi est à toi. C’est le pieux.

-ce qui est à moi est à moi et ce qui est à toi est à moi. C’est le méchant.’’ (Chap.V-Michna 10)

L’homme qui donne libre cours à son instinct de possession se heurte néanmoins au caractère altruiste inné  qui l’anime. Aussi Il tente instinctivement de trouver une échappatoire et un subterfuge et développe par là même la faculté de détourner le don.  Un exemple éloquent en est cette anecdote : Voici près d’un siècle, le maître le Saba de Salbodka entreprit un voyage  en Allemagne accompagné d’un de ses disciples, afin de chercher remède chez un grand médecin. Le maître et son disciple remarquent que les Allemands élèvent des chiens bergers de race, les soignent   comme des membres de la famille et se dévouent à eux entièrement. Le disciple était fortement impressionné par tout l’amour que ces personnes dispensaient à leur chien, et était émerveillé par leur sensibilité. Le Saba homme d’une riche expérience éducative et doté de la  connaissance des forces de l’âme humaine, dit à son disciple en une phrase sibylline et lapidaire : C’est pour de telles personnes que le verset dit: ‘’…. Pour rendre hommage à des veaux, ils immolent des hommes’’ (Osée XIII – 2).

Ces personnes ignobles et répugnantes envers l’être humain déversent la bonté qui s’agite en elles sur l’animal pour qu’elles puissent s’adonner à leur cruauté. Les malfaiteurs empruntent ce subterfuge pour épancher les bons sentiments qui les animent afin de conserver intact leur caractère cruel.  A présent, nous pouvons comprendre l’ homélie de Rava. La perversion de la sota comme toute dépravation, contient en germe l’altération des forces altruistes l’épanchement de la bonté issue de l’impureté. C’est pour cela que la poussière prise du sol du Tabernacle scellée par la bonté sainte, vient chasser la force opposée du mal. Et, ce qui permet  de  distinguer entre ces deux tendances, c’est la vertu d’ abnégation et d’humilité dont fait preuve le patriarche Avraham proclamant :’’véanokhi afar vaéfer’’, clé du remède de l’impureté et la déchéance. 

 

 

 

Grand Rabbin Chalom Benizri.