Vayikra
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Zakhor ! Souviens-toi ! Le Chabbat précédent le 14 Adar, jour de Pourim, porte le titre de Chabbat Zakhor, le chabbat du souvenir. Un deuxième rouleau de la Torah est ouvert à cette occasion pour y lire la double ordonnance de la Torah ‘’Souviens-toi de ce que t’a fait Amalek’’ et ‘’tu effaceras le souvenir d’Amalek de dessous les cieux, ne l’oublie point’’. Maïmonide écrit ‘’D… nous a ordonné de nous souvenir de ce qu’ Amalek nous a fait. Il désire que lui vouions notre haine en permanence et que nos âmes soient prêtes à lui livrer la guerre. La haine doit être telle que nous ne l’oubliions pas et qu’elle ne faiblisse jamais au cours des temps. Cette sentence contraste violemment avec toutes les prescriptions de la Torah, marquées par le sceau de la grâce et de la bonté : ‘’ses voies sont des voies pleines de délices et tous ses sentiers aboutissent au bonheur’’, écrit le roi Salomon dans le livre des Proverbes. Le prophète Samuël rapporte, que lorsque sous le règne du roi Saül, premier roi d’Israël, le moment était venu de s’acquitter de cette double prescription. Il fut chargé de lui dire ‘’maintenant va frapper Amalek et anéantissez tout ce qui est à lui, qu’il n’obtienne point de merci !…’’ (T. I chap. 15 – v.3) Et lorsque le roi n’exécuta pas l’ordre intégralement par compassion, cela lui coûta très cher et provoqua la destitution de la royauté. Il est bien connu qu’Amalek est l’incarnation des forces du mal. Il est qualifié de ‘’l’allié de la haine perfide’’, reconnu comme précurseur du principe de la primauté de la force brutale sur le droit et la justice. Aussi son souvenir et son évocation risquent de semer la glorification de son idéologie, qui constitue un danger pour l’avenir de l’humanité. C’est pourquoi d’aucuns disent que l’ordonnance de la Torah vise essentiellement le devoir d’effacer son nom de la mémoire. Néanmoins (nourrir une haine pour Amalek) prôner une guerre d’extermination sans pitié et prêcher cela pour toutes les générations, heurte notre esprit, notre cœur et tout notre être. Pourquoi la Torah nous prescrit-elle d’accomplir un tel devoir ? Certains tenteraient d’apaiser nos scrupules en nous rappelant qu’en définitive nos Sages estiment qu’il suffit de lire ce passage une fois par an, pour avoir accompli le devoir d’un souvenir perpétuel. Car il faut dire par ailleurs, la double recommandation indique que l’impératif ‘’zakhor’’ souviens-toi, s’applique dans le cas où Israël règne sur les nations, et ‘’la tichkah’’ n’oublie pas, dans le cas où il est asservi. En vérité la gravité de l’attaque lâche contre les faibles par Amalek, et tout le mal qu’il incarne, résident dans le fait qu’il a mené le premier l’offensive antisémite. Comme en témoigne l’oracle Bilam, prophète des nations ‘’Amalek était le premier des peuples, mais son avenir est voué à la perdition’’, voulant dire qu’il fut la première nation à attaquer Israël. Comme le décrit l’auteur du Sefer Ha Hinoukh (les 613 commandements) : tous les peuples s’inquiétèrent ; un frisson s’empare des habitants de la Philistée lorsqu’ils apprirent le passage miraculeux de la mer Rouge par les enfants d’Israël. Mais Amalek, peuple impie et de cœur dur, n’y prêta pas attention ! En les attaquant traîtreusement et sans avoir été provoqué, il montra la voie aux autres ennemis d’Israël. Nos Sages ont fait à ce propos la comparaison avec une cuve remplie d’eau bouillante, dont nul n’osait s’approcher. Arrive un individu téméraire qui se précipite dans la cuve ; il subit de graves brûlures, mais il a ainsi tempéré la chaleur de l’eau pour d’autres qui le suivront ! Afin de nous inciter à nous souvenir toujours de ces événements, la Torah dit :’’Souviens-toi’’. C’est ce qu’on appelle de nos jours la banalisation à laquelle participent des groupuscules extrémistes, des révisionnistes et des négationnistes, et les nostalgiques de Amalek, de Haman et d’autres que je ne veux pas nommer pour réaliser la mitzva.
Les sacrifices Le livre de Vayikra est consacré en grande partie au culte des sacrifices institué par la Thora. Cette législation commence par l’holocauste, offrande entièrement consumée dans les flammes de l’autel ; excepté la peau, aucune partie de l’animal sacrifié n’est réservée à la consommation du prêtre ou de la personne qui l’apporte. Le Zohar dit que cela est dû au fait que l’holocauste est offert en expiation des pensées impures qui se répandent et se propagent pour dominer la chair et la corrompre. C’est pourquoi la chair de l’animal offert en holocauste emporte les pensées pernicieuses qui sont livrées aux flammes. L’holocauste est offert également pour l’expiation de l’omission de la réalisation d’une mitzva. La Thora nous présente trois autres catégories d’offrandes : Celle du sacrifice rémunératoire ‘’chélamim’’, présentée à l’occasion d’un vœu formulé en l’honneur de l’Eternel ou d’une action de grâces pour un bienfait dont on a bénéficié, ou lors de la célébration d’une de nos fêtes de pèlerinage, ou encore au terme d’une période de l’état de nazir adopté volontairement. Le sacrifice délictuel ‘’acham’’ offert en expiation d’un délit de sacrilège, d’un faux serment consécutif à un objet volé, soustrait ou ravi, et dans certains cas, celui d’un doute sur un péché commis ou non, ou de l’union illicite d’un esclave juif avec une esclave cananéenne non affranchie complètement, ou encore celui d’une personne en état de nazir qui aurait contracté l’impureté, ou de la personne frappée de lèpre et purifiée de celle-ci. Enfin, le sacrifice expiatoire ‘’hatath’’, offert suite à un péché commis involontairement, par erreur ou par mégarde, que cela soit de la part d’un particulier, d’un chef de communauté, d’un roi, d’un des membres du sanhédrin ou du Grand-Prêtre. Ce résumé succinct suffit à nous convaincre de la haute valeur morale et religieuse que la Thora attribue à l’acte du sacrifice et à sa portée sur le plan communautaire et social, propre à une humanité qui aspire à atteindre un haut niveau. Sa fonction est de stimuler la société à gravir les échelons d’une vie sanctifiée empreinte de la crainte de D… Remarquons qu’il n’est nullement question de pouvoir obtenir le pardon en allant offrir une bête de sacrifice au Temple de D…, si le délit a été commis sciemment ou avec préméditation. Dans un tel cas la sanction est réservée au tribunal céleste et sera exécutée par l’Eternel et non par les hommes ; ou alors comme dit le Talmud (Roch Hachana 18 a) ‘’par une vie conforme à la Thora, par la prière et par les bonnes œuvres ’’. La Thora souligne par ailleurs qu’un sacrifice ne peut être présenté que par la libre volonté de la personne qui l’offre. Aucune pression ne doit l’y amener. Même un tribunal ne doit exercer nulle mesure coercitive sur lui. A ce sujet Maïmonide souligne : ‘’On ne peut faire violence à une personne que lorsqu’il s’agit de lui imposer une chose que la Thora n’exige pas de lui, telle que le forcer à vendre ou à faire cadeau d’un bien contre sa volonté. Mais lorsqu’il est séduit par le penchant du mal à commettre un méfait et que le beth din, le tribunal rabbinique, lui inflige un châtiment jusqu’au point où il se trouve prêt à renoncer à ce péché, ceci n’est pas considéré comme une violence qu’on lui fait subir. En effet, désirant observer les mitzvoth et s’éloigner des péchés, mais subjugué par le mauvais penchant dès qu’il est contraint de renoncer à sa mauvaise conduite, cet homme récalcitrant devient pleinement consentant’’
Causes et effets Contrairement à l’idée répandue communément quant à la faculté de la mémoire que nous avons des bonnes ou des mauvaises choses, qualifiée d’aptitude naturelle dont l’homme est doté et sur laquelle il ne peut exercer nul changement, nos Sages considèrent plutôt que cela dépend de la personne même. Comme enseigne le Talmud : ‘’Toute personne qui oublie un enseignement de l’étude de la Michna, outrepasse un interdit conformément à cette parole de la Thora : ‘’ Aussi garde-toi et évite avec soin pour ton salut d’oublier les événements dont tes yeux furent témoins, de les laisser échapper de ta pensée à aucun moment de ton existence . Fais les connaître à tes enfants et aux enfants de tes enfants…’’(Deut. IV – 9) (Menakhoth 99 b). Veiller à ne pas perdre la mémoire des événements et des choses , dépend de l’importance que la personne y accorde. Le souvenir est en rapport avec l’intensité de son désir de les acquérir et sa concentration dans l’étude. Cette idée reflète dans le mot rakez – concentrer, synthétiser, qui peut être lu dans l’autre sens zakhor – se souvenir. Ce qui indique que la concentration dans l’étude favorise la mémorisation et l’assimilation des matières dans le cerveau. L’impression laissée par l’étude est également très utile pour graver les notions de la mémoire. L’influence exercée par celles-ci contribue à ce que l’enseignement s’imprime et se conserve à jamais. C’est pour cette raison que nos Sages ont souvent souligné à travers le Midrach et le Talmud, qu’il appartient à l’étudiant de la Thora de l’Eternel, de considérer celle-ci comme si c’était seulement aujourd’hui qu’elle leur fut donnée au mont Sinaï. Et ainsi son amour pour elle devra se renouveler chaque jour constamment. La mémoire des choses apprises dépend également selon nos Sages, de l’articulation verbale et à haute voix des enseignements que l’on acquiert. C’est ce qui fait dire à nos Sages du Talmud à propos de cette parole des Proverbes : ‘’Hayim hem lémots éhem – Car ils sont un gage de vie pour qui les accueille’’(Prov. IV – 22) (Erouvine 54 a), le mots mots ehem qui s’apparente au mot metsi a , trouvaille, se rapporte également à motsi ehem qui vient de otsaha - faire sortir, allusion à la lecture articulée à haute voix émise par la bouche. Ainsi la personne qui parvient à déceler la profondeur des enseignements de la Thora dont il s’est imprégné, découvre en elle la vie éternelle. Comme disent nos Sages : ‘’Heureuse est la personne qui parvient là chargée de l’étude acquise’’(Psahim 50 a). Il faut aussi souligner l’importance accordée à l’effort consenti pour accéder à la connaissance . Cet investissement dans l’étude est qualifié du mot yegui’a – effort. Ce mot contient également la notion du but à atteindre ; ce qui revient à dire que la grandeur de l’effort fourni est garante de la réussite à atteindre le but escompté. Ce qui peut être illustré par l’image de la personne assoiffée qui cherche intensément l’eau pour se désaltérer. Et là aussi, les deux mots tsamé – assoiffé et matsa – trouver, sont composés des mêmes lettres. Ce qui indique la corrélation entre l’effort exigé entre l’état de l’un en rapport avec l’effort de l’autre, et qui est résumé dans cette sentence de nos Sages du Talmud au nom de Rabbi Itzhaq: ‘’yaga’ata oumatsata ta’amine lo yaga’ata oumatsata al ta’amine – Si tu as fourni les efforts nécessaires et tu en as récolté le fruit, tu peux croire en la justesse du pourquoi tu as enduré. Mais si tu n’as pas vraiment fourni d’effort et que tu penses être parvenu au but que tu t’es assigné, ne prête pas foi à cela’’(Meguila 6 b). En d’autres termes, l’objet trouvé après l’effort fourni, est considéré comme ayant été acquis. Car l’endurance investie pour y parvenir nous assure que la chose acquise portera à jamais le nom de cette personne, alors que l’élément trouvé sans grand effort finira par disparaître et sortir de l’esprit et de la mémoire de cet homme. Nos Sages rapportent que l’excès des plaisirs de ce monde et un matérialisme effréné contribuent grandement à l’oubli. Comme nous pouvons le constater à travers le verbe chakhoa – oublier, dont l’inversion des lettres permet de lire hochekh – ténèbres. En d’autres termes, lorsqu’on est plongé profondément dans les choses de ce monde comparé à la nuit, alors ce sont les ténèbres qui dominent. A l’instar de ce que nous enseigne le Talmud à propos de cette parole du psalmiste :’’Tu amènes les ténèbres et c’est la nuit, la nuit où circulent tous les hôtes de la forêt’’(Ps. CIV – 20) (Baba metsia 83 b). Le lien entre la faculté de l’oubli et l’état des ténèbres est développé dans le Zohar qui établit que la course après les vanités de ce monde et le matérialisme ternissent et font disparaître la lumière divine enfouie en la personne. Ils assombrissent pour ainsi dire le regard de l’homme et l’empêchent de déciller les yeux pour percevoir la lumière de la Thora. Ils provoquent même de recouvrir d’oubli ce que la personne aurait acquis. Nos Sages du Talmud mettent l’accent sur la petite différence entre l’oubli et le souvenir, en disant : Il n’est point comparable celui qui se remet à l’étude d’un passage de la Thora cent fois, à celui qui ne l’étudie que cent une fois. Car cet effort supplémentaire de la cent unième fois (Haguiga 9 b) relève de la distinction énoncée par le prophète Malachie : ‘’Vous verrez la différence du juste au méchant, du serviteur de D… à celui qui ne l’aura pas servi’’ (Mal. III – 18). Nos Sages soulignent que revenir cent fois à la charge de l’étude est un exercice qui permet d’acquérir et d’assimiler le savoir, au point que celui-ci s’intègre et se fond dans la nature et le comportement de la personne. Par contre la cent unième fois induit un élément supplémentaire, celui du caractère supra naturel qui accompagne le savoir à ce niveau. Depuis le moyen-âge le mot pardes- verger, est utilisé comme acrostiche des quatre niveaux d’approche et de compréhension des enseignements de la Bible. Les quatre lettres pardes désignent : Pé- le psachat, soit le sens littéral du texte Rech – rèmèz, s’apparente au développement allusif. Daleth – pour drach, nous renvoie à l’interprétation omélitique. Samekh – le sod, met l’accent sur l’interprétation ésotérique ou mystique. Nos sages usent d’un jeu de mots pour fustiger la personne qui se contenterait du pschat, du drach et du rèmèz sans s’intéresser au sod, et le qualifie de perèd – mulet, acrostiche de ces trois niveaux, et font appel à l’expression du psalmiste :’’Al tihyou kessous képerèd en havine… Ne soyez pas comme le cheval, comme le mulet auxquels manque l’intelligence’’ (Ps. XXXII – 9).
Grand Rabbin Chalom Benizri.
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