Sépharadisme
Au fil des siècles, deux rameaux principaux ont pris corps: ashkénaze et sépharade. Le terme sépharade (Espagne) désigne les cultures juives qui ont germé au sud du bassin méditerranéen sous la sphère d'influence hispano-arabe, alors que le terme ashkénaze (Allemagne) réfère aux cultures juives de l'Europe en milieu chrétien. L'héritage sépharade remonte à l'âge d'or espagnol, époque à laquelle juifs, musulmans et chrétiens mêlèrent leur génie et leurs talents pour faire connaître en Espagne, un essor culturel. Après leur expulsion d'Espagne en 1492, les sépharades se retrouvent dans l'Empire ottoman (Turquie, Bulgarie, Grèce) en Afrique du Nord (au Maroc en particulier), en Hollande et en Angleterre. Avec un bagage religieux et culturel qui remonte aux temps bibliques, les sépharades ont donné à la culture juive une dimension particulièrement progressiste à une époque où l'Europe n'en avait pas encore fini l’obscurantisme médiéval. Parallèlement à la tradition juive classique, le judaïsme sépharade touche à toutes les disciplines de la science profane. La philosophie et la poésie religieuse s'abreuvent aux mêmes sources. L'héritage sépharade s'articule autour de deux composantes essentielles : - l'héritage spirituel que constituent la Bible et le Talmud que partagent toutes les collectivités juives du monde, avec un intérêt marqué pour l'étude de textes mystiques ; - l'héritage culturel, constitué en Espagne et au Portugal dans les domaines de la médecine, des mathématiques, de l'astronomie, philosophie, de la grammaire, de l'éthique et de la poésie. En dehors de l'araméen et de l'hébreu, les sépharades ont hérité du judéo-espagnol (ladino dans les pays balkaniques et haquetia au Maroc et du judéo-arabe, langues vernaculaires à travers lesquelles se sont perpétuées maintes coutumes et traditions. De nos jours, la tradition orale perpétue les contes et légendes de l'Age d'or et le rituel liturgique est encore imprégné de la tradition musicale sépharade. Fès, Moroc Fès fut fondée en 810 par le Sultan Idriss II, roi pacificateur succédant à son père Idriss le conquérant, descendant du prophète. Fès, dès sa fondation attire une immigration juive de haut niveau de toute la diaspora : de Kairouan, en Tunisie, d'Egypte, de Perse, de Babylone et d'Espagne. Aux 800 familles musulmanes d'Andalousie se joignent également de nombreuses familles juives qui, sur invitation d'Idriss II, viennent faire bénéficier la nouvelle capitale de leur savoir et de leur art. Fès devient le centre juif par excellence du Maroc, et l'un des centres de culture juive de premier plan. Sur le plan culturel, l'Afrique du Nord s'ouvre lentement à la pénétration du Talmud, prenant position contre le courant karaïte qui veut en rester au seul pentateuque. Les échanges avec les Gueonim de Babylonie se développent avec comme centre de relais la ville de Kairouan, à l'est, centre flamboyant de la culture juive et musulmane de l'époque. Le courant de prisonniers de Babylonie amenés en Afrique du Nord et en Espagne favorise le passage du flambeau de Babylone en Afrique du Nord. Rabbi Houchiel à Kairouan, Rabbi Hanoch et son fils à Cordoue fondent des centres d'études vers lesquels affluent des étudiants de toute l'Afrique du Nord, et forment des générations de Talmudistes. Parallèlement les Yechivot de Babylone se dépeuplent, manquent d'argent et se tournent vers le nouveau centre qu'est devenue l'Afrique du Nord et plus particulierement Fès et Kairouan. Vers l'an 900, naît à Fès Rabbi Yehouda Bar Hayoug le plus célèbre des grammairiens hébraïques de son époque. Les autres noms de cette époque sont Rabbi Schmuel Hacohen qui émigre de Fès en Espagne et Rabbi Yaacov Bar Nissim Ben Chaon qui quitte Fès pour Kairouan. Cette vague de départs n'est pas fortuite mais consécutive à la perte du pouvoir par les Idrissides et la prise de Fès par les Zirides en 1032. Les assaillants auraient alors massacré plus de 6000 habitants juifs de la ville et dépouillé les survivants. Les troubles qui accompagnent la montée au pouvoir d'une nouvelle dynastie les Almoravides (1060-1130) contribuent à faire perdre lentement à Fès son rôle de centre de création juive qui passe insensiblement en Espagne. Sous les Almoravides qui, avec Yossef Ben Tachlin, leur premier souverain, mettent leur principale ambition à reconquérir les parties de l'Espagne passées entre les mains chrétiennes, se créent les conditions de la symbiose totale entre le Maroc et l'Espagne, le centre de création étant en Espagne mais alimenté par le Maroc. Les communautés juives d'Espagne connaissent alors une grande prospérité. Vers les années 1120-25 apparaît à Fès un prophète Moshe Dhery qui annonce le Messie pour l'année 1127, ses prêches à Fès et à Meknes font grande impression aussi bien aux musulmans qu'aux juifs. L'échec de sa prophétie entraîne un mouvement contre les juifs et de nombreuses conversions forcées à l'Islam. A partir des années 1100, dans le sud du Maroc, se lève une nouvelle secte musulmane les Almohades qui prêche le retour aux sources de l'Islam pur et dur. Ils veulent purifier le Maroc de toute présence non musulmane. Leur chef Abdel Moumen part à la conquête des villes du Maroc, Meknes est prise en 1146, Tlemcen en 1147 ainsi que Marrakech. Les persécutions contre les juifs font des ravages en Espagne et dans tout le Maroc. A Fès, la situation se stabilise après une première vague de persécutions. Parmi les réfugiés d'Espagne arrivent à Fès en 1159 la famille Mimoun : Rabbi Mimoun et ses fils David et Moshé (Maimonide). La situation reste très difficile, les conversions à l'Islam massives, Maimonide refuse de condamner les Anoussim (convertis de force) contrairement au grand rabbin de Fès et estime que l'émigration est la seule solution. Il part en 1165 pour l'Egypte. Lentement la dynastie Almohades devient décadente, ce qui permet le maintient d'une vie juive à Fès et dans tout le Maroc. La déroute des troupes arabes face aux armées chrétiennes en Espagne, sonne le glas de l'unité de L'Afrique du Nord et de la dynastie des Almohades. Les Mérinides s'installent à Fès en 1250. Ces nouveaux maîtres plus tolérants permettent un renouveau de la vie juive au Maroc. Ainsi en 1224 il ne restait aucune synagogue au Maroc, toutes ayant ete détruites. Fès redevient la capitale sous le règne de Moulay Yacoub Youssef (1269-1286), et devient un grand centre de commerce international, un immense entrepôt en contact avec les ports d'Italie, d'Espagne et de toute l'Afrique du Nord. Les commerçants juifs jouent un rôle de premier plan. Pour protéger la population juive grandissante, le Sultan Moulay Yacoub installe les juifs dans la nouvelle ville qu'il se construit Fès Eljdid, à l'ombre de son palais. Fès redevient un centre d'études juives important et une pépinière de rabbins. Cette situation se détériore lentement et en 1391 lors de la vague de persécution qui s'abat sur les juifs d'Espagne, la plupart des réfugiés préféreront l'Algérie au Maroc. Le premier quartier réservé aux juifs est fondé à Fès à cette époque dans une zone réservée au commerce du sel d'ou le nom donné : Mellah. La découverte du tombeau de Moulay Idriss II et le corps miraculeusement conservé du fondateur de Fès, et descendant direct du prophète fait de Fès une ville sainte de l'Islam. La présence d'infidèles près de la tombe du saint homme ne pouvant être toléré , les juifs furent obligés de quitter Fès El Bali (la vieille ville) pour un quartier fermé par des portes le Mellah. Le climat de jalousie contre les juifs est très violent et en 1465 un pogrom éclate, c'est la ruée vers le Mellah et le massacre est général. Peu réussissent à fuir à temps. Pourtant en 1492, c'est à Fès que furent regroupés les juifs réfugiés d'Espagne, dans un immense camps de cabanes et de tentes près de Fès .Mais les épidémies et surtout un violent incendie détruisent ce camp. La famine éclate et nombreux sont ceux qui quittent Fès pour les autres villes du Maroc, ainsi que la Terre Sainte et le Moyen Orient. D'autres restent à Fès ou ils s'intègrent dans la communauté de la ville, les Takanot de Castille devenant la règle mais la langue parlée étant alors l'hébreu et l'arabe dialectal. Vers 1510 une illustre famille de descendants du prophète entreprend la conquête du Maroc, ce seront les fondateurs de la dynastie SAADienne, en 1548 Fès est conquise une première fois, mais les Mérinides alliés aux turcs reprennent la ville en 1554 et poursuivent Mohamed El Cheikh jusqu'à Marrakech. Les turcs s'acharnent sur la population juive du Sousse qui subit une razzia en règle. Fin 1554, Mohamed El Cheikh contre attaque et reprend Fès. La capitale du Maroc est transférée à Marrakech. Pour financer toutes ces guerres, la population juive est lourdement taxée, de plus en 1557 une grande épidémie s'étend sur tout le Maroc causant la mort de 7500 juifs a Marrakech et 1640 juifs a Fès. La mort du Sultan Moulay Abdallah al-Ghalib en 1574 ouvre une guerre de succession de 4 ans très violente qui s'achève par la bataille des 3 rois célébrée par les juifs de Fès comme le "pourim de los Tres Reyes". Le nouveau souverain Ahmed El Mansour a de très bonnes relations avec les juifs, son long règne (1578-1603) est l'apogée de la dynastie saadienne . Cette période est celle d'une intensification des échanges commerciaux grâce surtout aux marchands du Sultan, en particulier la famille Pallache de Fès. A la mort du Sultan Ahmed El Mansour, une période d'anarchie sur fond de guerre de succession s'ouvre. La communauté juive est lourdement taxée et subit de plein fouet la sécheresse des années 1604-1606 faisant dans tout le Maroc des milliers de morts. A Fès il y eu plus de 3000 morts et 2000 conversions a l'Islam. Les mêmes scènes de sécheresse et de famine se renouvellent en 1614-1616, 1621-1622 et en 1624. L'insécurite, les guerres et la paupérisation générale crée un terrain favorable pour la crise shabtaiste. L'anarchie marque la fin de la période saadienne, favorisant l'avènement des Alaouites (1659) originaires du Tafilalt, dynastie qui règne encore de nos jours. Cependant, grâce au dynamisme et aux qualités pédagogiques des rabbins espagnols récemment immigrés, Fès redevint, en moins d'un quart de siècle, un important foyer d'études juives. Le Livre des Takanot des Mérougachim y fut rédigé par des rabbins de renom comme Rabbi Yossef Gabay, Rabbi Itshak Ben Rabbi Vidal SARFATI, Rabbi Yossef BENAMRAM, Rabbi Shmuel Haguiz, Rabbi Saadia Ben DANAN, Rabbi Saul Ben David SERERO et Rabbi Itshak ben Zimra. Le leadership de Fès sur l'ensemble des communautés marocaines fut incontesté jusqu'au décès, en 1753, de l'une de ses grandes figures, Rabbi Yaacov Abensour ou Yaabetz. Les persécutions et exactions que subit cette communauté au XVIII" siècle, ainsi que les famines de 1735 et 1737, puis le règne désastreux de Moulay Yazid (1790-92) entraînèrent le déclin de la ville alors que d'autres centres juifs se développaient à Tétouan, Mogador, Meknès ou dans le Tafilalt. |