Bamidbar
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Le désert du Sinaï Le Midrash (Bemidbar Rabba) commente ainsi cette parole de la Thora : ‘’L’Eternel parla à Moïse dans le désert du Sinaï’’ : L’insistance de l’écriture du lieu de la révélation a conduit nos Sages à étendre cette investigation et à mettre en lumière les trois facteurs qui ont concouru à la promulgation de la Thora. Le feu, déduit du verset : ‘’Or la montagne du Sinaï était toute fumante parce que le Seigneur y était descendu au milieu de la flamme’’ (Ex. XIX – 18). L’eau trouve son allusion :’’Eternel ! Quand tu sortiras de Seïr les cieux se fendirent ; les nuages se fendirent en eau’’ (Juges V – 4). Enfin le désert se réfère à notre verset : ‘’L’Eternel parla à Moïse dans le désert du Sinaï’’ *. Quelle signification attribuer à ces trois caractéristiques liées au don de la Thora ? se demande le Midrash. C’est pour souligner que, de même que ces trois éléments sont mis librement à la disposition de toute l’humanité, ainsi les paroles de la Thora ont un caractère universel, comme l’atteste cette parole prophétique :’’ A vous tous qui êtes assoiffés, venez, voici de l’eau’’ (Isaïe LV –1). Nous pouvons conclure que les enfants d’Israël dépositaires de la Thora, ont pour mission de diffuser son enseignement de par le monde. Le Midrash poursuit et nous indique que toute personne qui ne se met pas humblement à la disposition de ses prochains, à l’exemple du désert qui s’offre à tous les passants, ne peut acquérir la sagesse et la Thora. A priori il y a là une contradiction grossière . Les paroles de la Thora sont offertes en premier à la libre disposition de toute l’humanité. Toute personne peut s’en saisir gracieusement. Et simultanément dans la deuxième interprétation il apparaît que la personne qui désire acquérir la Thora devra payer le prix le plus fort, celui d’offrir sa personne sur l’autel de la Thora. Il doit renoncer à tous les plaisirs du monde pour s’adonner complètement à elle. L’auteur du commentaire ‘’Sefath Emeth’’ nous permet de lever cette difficulté en établissant le distinction entre la personne qui désire étudier la Thora, en prendre connaissance, acquérir le savoir qu’elle renferme, et pour cela certes, elle lui est librement offerte ; et la personne qui désire en prendre possession dans le sens d’adhérer complètement au corps de la Thora. Celui-là devra se rendre disponible de tout pour elle ; en d’autres termes, lui être complètement voué. Comme disent nos Sages dans le Talmud (Kiddouchin 32 b) :’’Zaken, le vieux, zé chekana okhma, c’est celui qui a acquis la sagesse’’ ; c’est-à-dire que celle-ci a élu résidence et construit un nid dans son cœur. Et c’est pourquoi nous sollicitions de l’Eternel dans la prière du matin dès le réveil : ‘’Vé aarevna’’-Rends agréable ô Eternel notre D… les paroles de la Thora dans notre bouche et les bouches de ton peuple, la maison d’Israël, que nous soyons nous, nos descendants et les descendants de nos descendants, nous tous, des connaisseurs de ton Nom, étudiant la Thora pour elle-même’’. Le choix du terme qui invite à cette prière introduit l’idée de mélange, comme si la Thora était assimilée dans le sang de la personne. Et cela ne peut se produire qui si on se donne complètement. Ainsi donc, il y a lieu de distinguer deux méthodes d’accès dans l’acquisition de la Thora. Celle de l’étude et de la connaissance, qui permet de se frayer la voie de la réalisation des mitzvoth et de donner une orientation à sa vie ; et celle d’incarner de cœur et d’esprit la Thora et d’en être le support, au point d’être habité par elle et d’en être partie intégrante. Ces deux cheminements distincts dans l’étude de la Thora reflètent dans l’enseignement de Maïmonide qui expose dans ‘’Ilkhoth Talmud Thora’’, ‘’ les lois de l’étude de la Thora’’, deux approches du devoir de l’étude. Il indique en premier :’’Chaque homme juif est tenu d’étudier la Thora qu’il soit pauvre ou riche, de corps sain ou affligé de douleurs, qu’il soit un jeune homme ou un vieillard dont la force est limitée. Même s’il est indigent et tire sa subsistance de la charité en mendiant de porte en porte, même s’il est marié et père de famille, il doit établir un temps fixe pour l’étude de la Thora, de jour comme de nuit. Comme le recommande le verset :’’Tu y méditeras jour et nuit’’(Josué I – 8). De la même façon qu’il nous est ordonné de mettre les tefiline chaque jour, le devoir nous est imparti d’établir un temps fixe pour l’étude de la Thora, matin et soir, d’une façon régulière. Ainsi donc il suffit de consacrer une parcelle du jour et de la nuit à l’étude pour s’acquitter de son devoir. Et cependant Maïmonide poursuit son enseignement en disant : Un homme motivé intérieurement à accomplir cette mitzva de façon correcte et à revêtir la couronne de la Thora, ne doit pas s’égarer vers d’autres préoccupations. Il ne doit pas s’imaginer qu’il acquerra la Thora en même temps que la richesse et l’honneur. Non, car voici le chemin de la Thora : Mange du pain avec du sel, bois de l’eau modérément, dors sur le sol, accepte une vie de difficultés, et peine dans l’étude de la Thora. Il ne t’incombe pas de terminer la tâche, mais tu n’es pas non plus libre de t’en dégager. Si tu as acquis beaucoup de Thora, tu as acquis une grande récompense, proportionnelle à l’effort investi. Pour éviter toute contradiction entre ces deux énoncés de loi de Maïmonide, nous devons nous référer à la distinction que nous avons établie entre la personne qui se livre à l’étude de la Thora pour en saisir le sens et la portée, et celle qui s’investit corps et âme pour y adhérer complètement. Ce qui les distingue, c’est que le premier a réalisé la prescription et a acquis le savoir, alors que le second porte la couronne de la Thora.
* Le symbolisme de l’eau, du feu et du désert Ces éléments symbolisent les règles de conduite à adopter tant pour acquérir la science de la Thora que pour être investi de son éthique. Le feu représente l’enthousiasme, l’entrain joyeux pour accueillir les paroles de la Thora. Ainsi que l’ardeur qui nous anime dans l’accomplissement des mitzvoth. Et enfin, le don de soi pour service de l’Eternel, à l’exemple du patriarche Avraham qui se laissa jeter dans la fournaise pour ne pas renoncer à sa foi monothéiste. L’eau représente une des conditions nécessaires à l’acquisition de la Thora ; la modestie, l’humilité, symbolisées par l’eau qui de par sa nature coule vers le bas. Aussi le meilleur épithète attribué à Moïse notre maître est qu’il est ‘’le plus humble des hommes qui fut sur terre’’. Rappelons aussi que la manifestation de D… au mont Sinaï et la promulgation de la Thora, ces événements grandioses, eurent lieu sur l’humble montagne du Sinaï sur laquelle D… s’est révélé comme il réside dans les cœurs modestes. L’eau c’est également le symbole de la pondération, du sang-froid, des gestes réfléchis. Le désert évoque la confiance que les enfants d’Israël ont témoignée en l’Eternel, comme le rappelle le prophète Jérémie : ‘’Je me souviens du dévouement de ta jeunesse, de l’amour et de la confiance que tu m’as témoignés en me suivant dans le désert, dans un pays inculte’’(XI – 2).
La dérive du pouvoir La section bemidbar expose la mise en œuvre importante de l’organisation et de l’ordonnance de la société et de l’état. Elle nous offre des données statistiques, la répartition du peuple selon les tribus et leur disposition en quatre campements ; à savoir, les réglementations au plan pratique, la nomination des responsables aux postes de service, la définition des rôles et des fonctions imparties aux Lévi essentiellement consacrés au transport des composantes du tabernacle et de ses objets, son démontage et son assemblage aux différents campements du peuple. La première partie de cette section est consacrée au premier dénombrement des enfants d’Israël sortis d’Egypte ; probablement le premier connu dans l’histoire de l’humanité. Au sujet de la nomination des lévites à la fonction qui leur est dévolue, nous constatons qu’une forme de pouvoir leur est accordée. A ce propos, le Baal Ha Tourim souligne que selon la tradition, l’expression ‘’hafked’’, nommer à un poste de responsabilité, apparaît à deux reprises seulement dans la Bible. La première fois dans notre verset : ‘’Tu préposeras les lévites au tabernacle…’’ (Nbres I – 50) ; et la seconde fois dans cette parole du roi David : ‘’Suscite un méchant contre lui, qu’un accusateur se dresse à sa droite’’ (Ps. CIX – 6). Dans ce contexte, le roi David sollicite de l’Eternel de frapper ses ennemis de maux équivalents à ceux qu’ils ourdissent contre lui, soit, de nommer à la tête de son ennemi un homme impie qui le calomniera à son tour. Cette parole du psalmiste s’apparente à la réalité sociale et étatique à une époque troublée telle que celle qui sévit de nos jours. Le Baal Ha Tourim met en parallèle ce vocable ‘’hafked’’ employé au sujet des lévites préposés à leur tâche, et celui usité par le psalmiste qui prend le sens de ‘’susciter un méchant’’, c’est-à-dire un chef tyrannique. D’où nos Sages concluent : la personne chargée d’un poste de direction ne sera appelée à remplir cette fonction d’autorité ici-bas que si elle est jugée mauvaise dans le monde de l’au-delà. En l’occurrence, il s’agit de tout gouvernant doté d’un pouvoir autoritaire, y compris les chefs de communauté. En d’autres mots, dès lors qu’une personne, voire même un lévite, est aux commandes d’une fonction publique, elle se meut en magistrat, en homme de pouvoir. Cette réflexion de nos Sages nous met en garde de façon pertinente vis-à-vis de l’autorité en place, qui risque de verser dans l’abus d’autorité, et d’être corrompu. Cette idée est mise en exergue dans la pensée du judaïsme, à savoir que si l’usage d’un gouvernant est un mal nécessaire et qu’il y a lieu de le conserver, il faut néanmoins le considérer avec circonspection et esprit critique et beaucoup de vigilance, car il est de notoriété que toute personne au pouvoir risque de basculer dans l’autoritarisme. Ceci nous rappelle l’enseignement de nos Sages dans les Maximes des Pères, qui nous recommandent : ‘’Soyez prudents avec le pouvoir car ils ne se rapprochent que de celui dont ils ont besoin ; ils se montrent amicaux tant qu’ils y ont intérêt mais n’apportent pas leur soutien au temps de la détresse’’ (Pirké Avoth II – 3) ; et dans la Michna 10 (chap. I):’’Chemaya et Aftalion disaient :….. ne te fais pas connaître du pouvoir’’. Ces injonctions préoccupantes nous recommandent la prudence et nous mettent en garde contre les dérives du pouvoir, même lorsqu’il s’agit de celui exercé par l’Israélite à l’égard de ses frères. Cependant, cela ne signifie pas que les Sages soient enclins à un régime anarchiste. Loin de là. La Thora écrite et orale préconisent l’institution d’un ordre social, mais elles éveillent notre attention quant à l’abus auquel le pouvoir peut conduire lorsqu’il n’est pas animé d’un esprit d’équité, et qu’il ne vise qu’à pourvoir aux honneurs, à la gloire, à la puissance et à la richesse de ceux qui occupent les postes de responsabilité. Même dans un état démocratique, l’autorité élue peut dévier et orienter le pouvoir qui lui est conféré pour en faire une source d’intérêt personnel. Comme disait Emmanuel Kant : ‘’Le pouvoir d’autorité confié entre les mains de l’homme, dévie le libre-exaministe de ses facultés’’.C’est là le sens de cette parole de nos Sages : ‘’L’homme ne devient un dirigeant communautaire ou autre, ici-bas, que s’il est considéré comme impie dans le monde d’En haut’’. En d’autres termes, il est de la nature de tout pouvoir de dégrader l’homme ; et le pouvoir absolu détruit l’homme de manière absolue. Enfin, toute personne qui détient l’autorité se trouve menacée d’une dure et grave épreuve, celle de la déchéance dans laquelle elle peut être entraînée par son élévation à un titre et par l’influence qu’elle peut exercer d’une façon abusive.
Grand Rabbin Chalom Benizri.
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