Ki Tissa

 
BÉRÉCHITE (Genèse)
CHÉMOT (Éxode)
VAYIKRA (Lévitique)
BAMIDBAR (Nombres)
DÉVARIM (Deutéronome)

 

 

Dépositaire de la parole

Rabbi  Yehuchoua  Ben   Levi    disait : 

Lorsque Moïse est monté au firmament, au sommet du mont Sinaï les anges de service se présentèrent devant l’Eternel et protestèrent en disant : Maître de l’univers, que fait cet être de chair et de sang parmi nous ? L’Eternel leur dit : il est venu pour recevoir la Thora. Comment,  rétorquèrent-ils, un trésor précieux enfoui voici neuf cent septante-quatre générations avant que le monde ne vint à l’existence, tu voudrais le donner aux mortels ? Comme dit le psalmiste : ‘’Qu’est donc l’homme que Tu penses à lui ? Le fils d’Adam que Tu le protèges.’’ (Ps. VIII, v.2, 5). Conserve-le plutôt pour nous, Eternel notre Seigneur ! Que ton nom est glorieux par toute la terre ! D… dit alors à Moïse notre maître : réponds leur et explique pourquoi la Thora doit être donnée aux hommes. Moïse Lui dit : Maître de l’univers, je crains qu’ils me consument par le souffle de leur bouche. L’Eternel lui dit : accroche-toi à mon trône pour trouver la force et la protection et rétorque-leur  ce qui suit : ‘’Il dérobe la vue de son trône en déroulant sur lui sa nuée’’ (Job XXVI – 9). Ce qui signifie selon Rabbi Nahoum que l’Eternel a étendu sur Moïse le reflet de sa présence divine et l’a enveloppé de sa nuée. Alors Moïse notre maître dit : Maître du monde, dans la Thora que Tu  m’as donnée, il est écrit : Je suis l’Eternel ton D… qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte, de la maison d’esclavage (Ex. XX – 2). Et se tournant vers les anges de service, dit : Etes-vous descendus en Egypte ? Avez-vous été asservis au pharaon ? Pourquoi la Thora vous serait-elle réservée ? N’est-il pas écrit : ‘’vous n’aurez pas d’autre dieu devant ma face’’ (Ex. XX – 3). Vivez-vous parmi les nations idolâtres pour qu’il vous soit recommandé de ne pas vous laisser choir et adopter leurs égarements et vous vouer à l’idolâtrie ? ‘’Souviens-toi du jour du Chabbat pour le sanctifier’’ dit la Thora (Ex. XX – 8). Vous adonnez-vous à l’ouvrage pour que vous ayez besoin de célébrer le Chabbat ? Il est écrit également : ‘’tu ne prononceras pas le nom de D… en vain’’. Vous arrive-t-il de vous livrer à un échange commercial qui vous amènerait  à prêter un faux serment ? ‘’Honore ton père et ta mère’’ Ou encore : ‘’ne pas tuer, ne pas commettre d’acte incestueux, ne pas voler’’ Cela vous concerne-t-il ? Eprouveriez-vous de la jalousie les uns envers les autres ? Le penchant du mal a-t-il  une  quelconque  prise sur vous?

Les anges de service reconnurent alors que l’Eternel dans sa bonté infinie a bien fait de confier la Thora aux êtres humains, selon la parole du psalmiste : ‘’Eternel notre Seigneur, que Ton nom est glorieux par toute la terre !’’ (Ps ; VIII – 10), et ne firent plus référence au verset :’’car Tu as répandu ta majesté sur les cieux’’. Ainsi donc, les anges acquiescèrent et éprouvèrent de l’affection pour Moïse notre maître, et le comblèrent de présents. Comme dit le psalmiste :’’tu es remonté dans les hauteurs après avoir fait des prodiges ; tu as reçu des dons parmi les hommes. Même des rebelles (sont contraints) de demeurer près de l’Eternel, près de D…’’ (Ps. LXVIII – 19). Même l’ange de la mort lui fit don du secret de l’encens. Ainsi, lorsque la calamité avait commencé à exercer ses ravages, suite aux murmures des enfants d’Israël contre Moïse et Aaron, disant : ‘’C’est vous qui avez tué le peuple de l’Eternel’’ Moïse dit alors à Aaron : saisis l’encensoir, mets-y du feu de l’autel, pose le parfum au milieu de l’assemblée pour effacer leur faute. Aaron posa le parfum et il fit expiation sur le peuple. Il s’interposa entre les morts et les vivants et la mortalité s’arrêta’’(Nbres XVII – 12, 13). Si l’ange de la mort n’avait pas révélé à Moïse ce pouvoir élevé de l’encens pour arrêter le fléau de la mort, Moché  Rabbenou    n’aurait   pas   su   cela.      (Traité Chabbat 88 b) 

Dès l’avant-propos de cet enseignement talmudique, nous apprenons que la Thora était complètement rédigée avant la création du monde. C’est ce qui apparaît clairement dans le texte: ‘’l’Eternel dit à Moïse : monte vers Moi sur la montagne et y demeure : Je veux te 

donner les tables de pierre, la loi et les commandements que j’ai écrits pour leur enseigner’’       (Ex ; XXIV – 12).

L’expression ‘’acher katavti’ ’ est     à traduire au sens du plus-que-parfait : la Thora que j’avais écrite. En d’autres mots, la Thora a présidé à la création du monde, ce qui veut dire que le monde a été fondé dans sa constitution et sa structure morale et sociale sur les principes fondamentaux contenus dans la Thora. Celle-ci représente pour ainsi dire le plan fondamental et le système préétabli de la vie sur terre. Comme dit le Rabbin Elie Munk dans son commentaire :‘’La loi de la nature et la loi morale reposent sur une même origine. Elles concordent entre elles et elles se complètent mutuellement. Le monde présuppose l’existence de la Thora.’’Au moment où les enfants d’Israël s’apprêtent à recevoir la Thora de l’Eternel, les forces du mal tentent d’y faire obstacle. Mais la providence divine vient en aide à l’homme et plaide sa cause. Reconnu dans sa dimension, la nécessité oblige de lui octroyer la Thora et son mode de vie. L’homme  devient alors le dépositaire de la Thora qui éclaire  sa marche dans la vie.

 

La supplique de Moïse

Le retard insignifiant du retour de Moïse du haut du mont Sinaï, eut pour conséquence  le revirement radical des enfants d’Israël. Parvenus au sommet de sainteté lors de la révélation, ceux-ci se laissent choir si bas, jusqu’à demander à Aaron ha Cohen, de leur faire ‘’un dieu qui marche devant eux’’ et se rendent coupables de l’idolâtrie du veau d’or. Le courroux divin est tel, que l’ordre est  donné à Moïse de descendre immédiatement de la montagne, suivi par ces mots : ‘’maintenant laisse-moi et que s’allume contre eux ma colère et que Je les anéantisse, tandis que Je ferai de toi un grand peuple’’. Moïse notre maître réagit alors d’une manière éclatante et fait montre d’une grande sollicitude et d’une profonde affection à l’égard de son peuple. Tout à l’opposé de Noé qui, à l’annonce du déluge avait gardé le silence et n’a rien demandé à l’Eternel lorsqu’il lui fut annoncé que ‘’le terme de toute chair était arrivé’’. N’aurait-il dit qu’une boutade : ‘’après moi le déluge !’’ A la différence également du patriarche Avraham, lequel ayant appris le projet de destruction des villes coupables de Sodome et Amora, intercéda immédiatement en leur faveur auprès de l’Eternel. Toutefois son intervention avait uniquement pour objet de préserver les Justes afin qu’ils ne périssent pas avec les coupables. Par contre, la supplique de Moïse atteint la perfection. Celui-ci n’aura de cesse d’implorer le pardon de l’Eternel pour tout Israël. Moïse introduit sa supplique, non par le terme commun et ordinaire de ‘’tefila’’, mais par celui de ‘’vaïhal’’, rarement usité et dont nos Sages du Talmud et du Midrach tentent de déterminer la signification. Pour Rabbi El Azar, ‘’vaïhal’’ s’apparente au verbe ‘’halo’’ qui traduit l’état de la personne malade et décrit la condition physique éprouvante de Moïse, dans l’effort déployé pour la sauvegarde du peuple juif, menacé dans son existence. Rava dit : ‘’vaïhal’’ évoque le dénouement d’un vœu. Tel que l’illustre le Midrach, Moïse s’est tenu en prière et sollicite le pardon pour le peuple. L’Eternel lui dit : ‘’Je me suis engagé par serment de les détruire et je ne puis me dédire’’. N’est-il pas écrit (Exode 22 – 19) ‘’celui qui sacrifie aux dieux, sera voué à la mort ; si ce n’est à l’Eternel, à lui seul’’. Moïse rétorque   qu’il est indiqué également l’obligation de défaire le serment prêté si la demande en est exprimée avec regrets, et que tout Sage parmi les Anciens, qui dispense le savoir, doit montrer l’exemple pour être suivi. Il convient donc que Tu annules ton serment, pour révoquer le malheur que Tu as projeté d’infliger à ton peuple. Moïse s’enveloppa alors de son châle de prière, et tel un Sage, il siégea face à l’Eternel pour le délier de son serment. Rabbi Chemouel dit : le vocable ‘’vaïhal’’ s’identifie à ‘’halal’’, un corps inanimé. Ainsi ce terme choisi  exprime la volonté de Moïse de se livrer en sacrifice pour expier le péché d’Israël  et assurer sa sauvegarde. Rabbi Itzhak dit : le choix du verbe ‘’vaïhal’’, souligne l’intensité et la ferveur de la prière de Moïse  qui a fini par éveiller la miséricorde de l’Eternel jusqu’à obtenir satisfaction d’annuler son décret. Nos Sages découvrent dans le mot ‘’vaïhal’’, la plaidoirie de Moïse qui fait état de trois arguments.

En premier lieu, il fait valoir des circonstances atténuantes. ‘’Le peuple vient de sortir du pays d’Egypte, pays rempli d’idoles et expert dans toutes ces abominations, et les Egyptiens adoraient les veaux sous la forme de la divinité nommée Apis. Par ailleurs, les enfants d’Israël ne désiraient pas quitter le pays, et Toi D… Tu les fis sortir contre leur gré par ta grande puissance et ton bras étendu. Or, si Tu les as fait sortir de ce milieu idolâtre, pourquoi ta colère s’enflammerait-elle quand ils reviennent à leurs anciennes manières ; l’habitude est devenue pour eux une seconde nature, et c’est elle qui les a amenés à agir de la sorte’’(Abrabanel).

En invoquant en cette heure critique la grandeur de la force divine par laquelle s’effectua la sortie d’Egypte, Moïse sollicite aussi la prédominance des attributs de l’amour, de la magnanimité et de l’indulgence, sur ceux de la justice rigoureuse  et de la vindicte, afin que l’Eternel se montre magnanime à l’égard du grave péché des enfants d’Israël.

Le second argument dont Moïse fait état, est la profanation du nom divin, que l’anéantissement du peuple causerait au milieu des nations ennemies.

Enfin, Moïse a recours aux mérites des pères, des patriarches Avraham, Itzhak et Yaakov. Cet argument se révèle décisif et emporte immédiatement l’approbation divine de révoquer l’arrêt d’anéantissement. Voilà ce qui explique le pourquoi  nos Sages font état du mérite des patriarches dès l’ouverture de la prière quotidienne de la Amida, et introduisirent dans notre prière du matin cette proclamation : ‘’Que sommes-nous ? qu’est notre vie ? notre mérite ? notre pouvoir ?… Les plus puissants ne sont-ils pas comme rien devant Toi, et les hommes de renom, comme s’ils n’étaient point ?… Mais, nous sommes ton  peuple, fils de ton Alliance, les fils d’Avraham, ton aimé, à qui tu as fait serment au mont Moria’’. 

La braïta rapporte au nom de Rabbi Eliezer Ha Gadol Ben Orkanos, que ‘’vaïhal’’ fait allusion aux tremblements convulsifs dont fut saisi Moïse en prière devant l’Eternel.

Ces multiples interprétations attribuées au mot ‘’vaïhal’’ témoignent de la sagesse, de l’humilité et de l’amour qui animaient notre maître Moïse  à l’égard du peuple d’Israël. Ce qui inspire les paroles du psalmiste, prêtées à l’Eternel :

‘’Il parlait de les exterminer si Moïse son élu, ne s’était  tenu devant Lui sur la brèche, pour empêcher sa fureur de les détruire’’ (psaume 106 – 23).

‘’Qui m’assistera pour faire front aux malfaiteurs ? Qui m’aidera à tenir tête aux artisans d’iniquité ?’’ (psaume 94 – 16).

 

Panim el panim -  le face à face

Le mot ‘’panim’’ figure sous différentes formes dans cette paracha (près de vingt-deux fois au chapitre XXXIII - 11 à 23). Il se présente tel un mot clé qui permet la compréhension de ce texte.

‘’L’Eternel parla à Moïse face à face, à la manière dont un homme parle à son compagnon…’’ Cette parole de la Thora souligne le caractère intime de la rencontre entre l’Eternel et Moïse, et nous indique par là même l’aspect particulier réservé exclusivement à celle-ci, comme en témoigne le texte : ‘’Ecoutez Je vous prie mes paroles, dit l’Eternel à Aaron et Myriam ; quand il y aura parmi vous des prophètes, Moi, Eternel, Je me manifesterai à eux par une vision ; c’est en songe que Je m’entretiendrai avec lui. Mais il n’en est pas de même de Moïse mon serviteur ; de toute ma maison, c’est le plus fidèle. Je lui parle de bouche à bouche, dans une claire apparition et sans énigme ; l’image de D…, il la contemple’’(Nbres XII – 6 à 8). La Thora dit par ailleurs : ‘’Il ne s’est plus levé en Israël de prophète tel que Moïse, que le Seigneur a connu face à face’’ (Deut. XXXIV – 10). La distinction établie entre les visions prophétiques de Moché Rabbenou et celles de tous les autres prophètes, présente deux aspects fondamentaux, disent les Sages : 

1)La disponibilité de l’Eternel d’être à l’écoute des sollicitations de Moïse.

2)Le caractère de la relation directe qui s’établit entre D… et Moïse sans nul intermédiaire.

Maïmonide, dans ‘’Le guide des égarés’’, cite quatre différences qui distinguaient la prophétie de Moïse de celle des autres prophètes :

1)La parole n’était adressée en général que par un intermédiaire, alors qu’elle s’effectuait en face à face à l’égard de Moïse.

2)Tous les prophètes n’avaient de révélation divine que dans des visions nocturnes, des songes, ou dans un état d’assoupissement, alors que Moïse pouvait avoir ses inspirations dans l’état de veille et en pleine possession de toutes ses facultés.

3)Les autres prophètes éprouvaient pendant leurs visions un tremblement convulsif et un trouble extrême. Moïse par contre, était toujours dans un calme parfait.

4)Bien que parfaitement préparés pour l’inspiration divine, les prophètes n’étaient inspirés qu’à certaines époques, de par la grâce et la volonté divine. Moché Rabbenou avait le privilège de pouvoir spontanément et à tout instant, appeler l’inspiration divine.

Cependant, à la demande de Moïse ‘’laisse-moi donc contempler Ta majesté’’, l’Eternel répond : ‘’Je vais faire passer toute ma bonté devant ta face, Je vais proclamer D… par son Nom devant toi… Tu ne peux voir ma face, car il est impossible que l’homme me voie et vive…. Tu me verras par derrière ; ma face ne sera pas vue’’.

Il ressort de cette description que D… ne s’est pas révélé à Moïse face à face. Ce qui va à l’encontre de ce qu’atteste le texte précédemment. Pour rétablir  cette contradiction apparente, nous devons reconnaître que le terme ‘’panim’’ renferme différentes significations. Ainsi nos Sages attribuent au mot ‘’panim’’ le sens de la révélation de la providence divine qui gouverne l’univers, et interprètent la demande de Moïse comme ayant pour objet de connaître les voies de l’Eternel qui régissent notamment les rétributions qui résultent de l’accomplissement des mitzvoth pour les hommes justes, en opposition flagrante avec la quiétude et le bien-être dont jouissent les malfaiteurs dans ce monde. C’est cette question préoccupante de la récompense et de la punition dans le jugement divin dont Moïse voulait percer le mystère.

A cela, D… lui répond qu’il n’appartient pas à l’homme de connaître cette énigme. Comme si ce mystère s’impose à nous, pour mettre à l’épreuve notre foi en Sa providence. Ainsi le mot ‘’panim’’ prend le sens de la vision et la compréhension de la justice divine que l’homme ne peut déceler.

Nahmanide note dans son interprétation de ce passage de la Thora, que le mot ‘’panim’’ présente l’intériorité de la Thora, ses secrets et ses mystères ; alors que le mot ‘’ahor - arrière’’, indique la compréhension à posteriori de la distinction divine du monde et la possibilité qui nous est donnée d’y porter notre attention après que l’événement se soit passé.

Le Midrach traduit le mot ‘’panim’’ par la manifestation de D… à ses créatures, par opposition au ‘’hester panim’ - l’attitude du visage caché, dissimulé derrière les événements. ‘’Panim’’ peut désigner également les traits d’un visage qui révèle la colère, ou au contraire, l’amitié.etc…

Enfin, le Or Ha hayim Ha Kaddoch traduit l’expression ‘’panim el panim – face à face’’, par ‘’la mesure équivalente’’. C’est-à-dire que l’accueil de la présence divine, sa proximité, est en rapport avec la prédisposition et la préparation effectuées par l’homme, pour atteindre cet objectif élevé. C’est à la mesure de l’effort consenti, de la volonté exprimée, de l’entreprise développée, que la personne reçoit en retour le flux divin de sainteté. Et l’image que la Thora donne du face à face, ‘’à la manière dont un homme parle à son compagnon’’, nous renvoie à cette parole du livre des Proverbes : ‘’Comme dans l’eau, le visage répond au visage ; ainsi chez les hommes, les cœurs se répondent’’(Prov. XXVII – 19). Le cœur parle au cœur, dit-on. C’est dans le secret, dans l’intimité du cœur , que l’on nourrit la haine ou l’amour d’autrui. L’expression ‘’panim el panim – face à face’’, nous convie à sonder notre cœur pour évaluer le degré de notre lien au créateur, à travers la réalisation des mitzvoth. C’est dans la qualité et l’intensité de cette relation que nous pouvons découvrir celle que D… témoigne à sa créature.

 

 

 

Grand Rabbin Chalom Benizri.