Vaéra

 
BÉRÉCHITE (Genèse)
CHÉMOT (Éxode)
VAYIKRA (Lévitique)
BAMIDBAR (Nombres)
DÉVARIM (Deutéronome)

 

 

Le double langage

‘’La langue du juste est de l’argent de bon aloi ; le cœur du méchant ne vaut pas cher’’ (Prov. X - 20).

Cette parole de sagesse du roi Salomon, tirée du livre des Proverbes, met l’accent sur une des différences les plus significatives peut-être, entre le juste et le méchant. Remarquons tout d’abord que la mise en opposition utilisée dans cette sentence, la langue du juste et , le cœur du méchant, ne met pas suffisamment en exergue la différence profonde que l’on désire souligner dans la nature du juste et celle du méchant. 

N’aurait-il pas été plus judicieux d’écrire: la langue du juste et celle du méchant…. , et, le cœur du juste et celui du méchant ? Il faut rappeler que le terme ‘’langue’’ est un nom collectif attribué à toutes paroles prononcées et diffusées publiquement ; alors que le cœur symbolise la vérité renfermée aux tréfonds de la personne, là où les décisions esquissées sont arrêtées pour frayer le chemin de la vie. La vérité intime, authentique, l’emporte sur la parole émise . Le cœur est communément le siège d’une orientation et un mode de vie tracés et modelés sur fond d’une certaine réflexion. Le langage, moyen par lequel on se présente au sein de la collectivité, comporte des imperfections et souffre d’un manque de stabilité, parce que l’homme tente de se montrer plus qu’il n’est en vérité. Cette aspiration crée une dichotomie entre ce qui anime l’homme en son for intérieur, dans son cœur, et ce qui lui est extérieur. Par moments, le langage atteste de ce qui fait vibrer intérieurement la personne, à d’autres, ce qu’il désire que l’on pense de lui. Chez l’homme juste, dit le roi Salomon, ce n’est pas uniquement le cœur, la vérité intime qui est perfectionnée et solidement ancrée, mais également le langage extérieur, tel un argent de bon aloi, une matière raffinée. Il y a en quelque sorte une similitude entre le langage parfait et la vérité pure qui anime le cœur. Et même si la personne est amenée à dévier de la vérité dans son langage pour une raison quelconque, elle s’efforcera néanmoins, autant que possible, de faire en sorte que le langage dont elle use soit le plus proche     possible  du  cœur,  de la vérité.

Par contre, le cœur du méchant n’est pas entier et le chemin intime de sa vie n’est pas édifié et bien fondé. Tantôt il penche d’un côté et tantôt de l’autre. 

Le comportement du patriarche Yaakov illustre à merveille l’attitude de l’homme de vérité. Contraint et forcé, sur l’injonction de sa mère Rivkah, de passer pour Essav, pour recueillir les bénédictions de son père, Yaakov  revêt les vêtements de son frère , et à l’interrogation de son père : ‘’Qui es-tu mon fils ?’’, il répond : ‘’Moi, Essav ton premier né’’. Nos Sages mettent le doigt sur la cantilation significative de la réponse de Yaakov et nous font remarquer que le mot ‘’Anokhi’’ est intentionnellement mis en apposition. Le ‘’moi’’ est pour ainsi dire mis en retrait, car Yaakov ne pouvait dissimuler sa honte et sa gêne de donner une réponse mensongère. La sincérité profonde qui l’habite ne lui permet pas de proférer une telle effronterie. Et quand bien même le devoir lui impose de se conformer aux instructions prophétiques de sa mère, sa parole ne peut trahir la vérité qui agite son esprit et qui anime son cœur. Aussi, ‘’moi, Essav ton aîné’’ revient à dire : ‘’c’est moi’’, sous couvert de , l’Eternel qui se nomme ainsi, t’apporte la nourriture que tu as demandée ; comme il est vrai que ton fils Essav est ton aîné. Par ailleurs ‘’Anokhi’’, ‘’Moi’’, évoque ce même vocable qui introduit les dix paroles comme pour dire : Moi Yaakov, je suis appelé à recevoir les dix paroles (communément appelées les dix commandements). Et c’est pourquoi les bénédictions me reviennent de droit ; bien que Essav soit ton premier né. De même, après avoir palper Yaakov, Itzhaq dit :’’C’est toi, mon fils Essav ?’’ Yaakov répondit : ‘’Ani, Je suis’’, sans autre précision. Yaakov  ne peut tromper son père et passer pour un imposteur. Et dans le même temps, il ne peut désobéir à sa mère. Aussi, il use du langage le plus respectueux possible. Nos Sages disent qu’en cet instant pathétique où il entend son père lui dire ‘’Approche-toi donc afin que je te palpe mon fils, si tu es vraiment mon fils Essav ou non’’, Yaakov est saisi d’un tremblement de tous ses membres ; le cœur en émoi, il ne put s’avancer vers son père. Il a fallu que deux anges le soutiennent. Le Zohar rapporte qu’en ce moment Yaakov éleva cette prière à l’Eternel : ‘’Seigneur délivre-moi des lèvres mensongères, de la langue perfide’’ (Ps. CXX – 2). Pour cet homme intègre, chaque geste, chaque parole et chaque pensée, convergent sans la moindre déviance vers la vérité. 

Ce n’est nullement le cas du pharaon, roi d’Egypte. Lorsque la plaie s’abat sur lui et sur son peuple, il promet d’affranchir le peuple d’Israël de son esclavage en Egypte ; et dès que la plaie s’estompe, il se ravise. On pourrait penser qu’il abusait ainsi de Moïse. En vérité à l’instant où il faisait preuve de bonne volonté, son intention était sincère ; mais son sentiment intérieur l’en dissuadait. La méchanceté qui l’habitait, submergeait sa pensée, ce qui entraînait son langage versatile ; et après la disparition de la plaie, il devait renforcer son cœur. Nos Sages font remarquer que le terme choisi ‘’renforcer’’, s’applique bien évidemment à ce qui  s’est affaibli et devenu chancelant. Ainsi, au risque d’être amené à s’attendrir sur le sort des enfants d’Israël réduits à l’esclavage, le pharaon ‘’renforçait’’ à nouveau son cœur. C’est ce qui nous permet de comprendre qu’il pouvait tout à la fois reconnaître que ‘’D… est juste et moi et mon peuple sommes des méchants’’(Ex. IX – 27), et par ailleurs,  endurcir son cœur et refuser de libérer les enfants d’Israël. Ce qui montre à l’évidence que sa conviction reste superficielle et n’a pas pénétré en son cœur.

 Cette attitude rappelle l’histoire d’une personnalité éminente, réputée athée, qui au terme de sa vie, sur le point de passer de vie à trépas, adresse cette demande surprenante à ses disciples : ‘’Faîtes venir le rabbin à mon chevet’’. Stupéfaits, ils réprimèrent leur révolte, lorsque l’un d’entre eux dit d’une voix tremblante : maître, toute ton existence tu l’as vouée à professer l’athéisme, et à présent, ‘’le miséricordieux nous en préserve’’, tu fais appel au rabbin pour faire repentance ! A D… ne plaise, répondit le maître pour apaiser leur inquiétude. J’ai l’intention de faire repentance, uniquement  pour contrecarrer l’enseignement talmudique (Erouvin 19 a) qui atteste :’’Les mécréants, même au seuil de l’enfer, ils ne font pas repentance’’. 

C’est pour éviter de telles discordances entre le sentiment qui nous anime, la pensée qui nous porte et la parole exprimée, que nous clôturons la prière silencieuse par ces mots du palmiste: ’’Que te soient agréables les paroles de ma bouche et la méditation de mon cœur, ô Eternel, mon rocher et mon salut’’. (ps. XIX – 15)

 

Elokim, Ado – naï, Cha - daï

‘’D… parla à Moïse et Il lui dit : Je suis l’Eternel. Je suis apparu à Avraham, à Itzhaq, à Yaakov, en D… tout-puissant, et sous mon nom, l’Eternel, Je n’ai pas été connu d’eux’’ (Ex. VI - 2 et 3).

Ceci vient en réponse aux doutes et aux observations sceptiques de Moïse notre maître, adressées à l’Eternel : ‘’mon D… pourquoi as-tu fait du mal à ce peuple ? Pourquoi m’avais-tu donc envoyé ? Depuis que je suis allé chez pharaon pour parler en Ton nom, il a fait du mal à ce peuple et Tu n’as point sauvé Ton peuple’’ (Ex. V 22,23).

Il est à observer que le verbe ‘’daber’’ employé ici, exprime la dureté de la parole et que le nom divin ‘’Elokim’’ évoque l’attribut de la justice divine. Ainsi la formule ‘’vaydaber Elokim’’ traduit la désapprobation des termes de réprimande avec lesquels s’est exprimé Moïse à l’égard de D… . Précisons que depuis que l’Eternel s’est révélé à Moïse au buisson ardent, il est fait usage  à seize reprises de la parole sous la forme verbale ‘’vayomer’’, connue comme un langage  de douceur ; et que seul le Tétragramme ‘’Ado – naï’’ figurera dans l’histoire de Moïse pour désigner l’Eternel en sa qualité de souverain absolu de l’univers, accomplissant des miracles surnaturels, tels ceux qui se produiront lors des six plaies infligées en Egypte, ou lors de la division de la mer Rouge, ou de la tombée de la manne etc… Le rappel dans ces versets des apparitions divines aux patriarches, leur annonçant des promesses d’avenir faites au nom divin ‘’Cha - daï’’ et non en celui du Tétragramme ‘’Ado - naï’’, ont pour objet de faire savoir à Moïse que la foi  en D… de sa génération est encore dans l’état actuel, imparfaite, et que cette croyance ne sera ancrée dans leur cœur qu’à travers les miracles et les prodiges dont ils seront les témoins. Alors que les patriarches n’eurent aucun besoin de cela. Le nom divin ‘’Cha-daï’’ désignant l’Eternel en tant que maître de la nature accomplissant des miracles cachés qui n’exigent aucune modification de la loi naturelle, leur suffisait amplement. 

Rabbi Yehouda Halévy précise à cet effet que  : ‘’la manifestation des miracles dont les enfants d’Israël furent les témoins, ne signifie pas que ces derniers aient été d’un degré supérieur  aux patriarches, mais qu’ils se sont produits parce qu’ils étaient en grand nombre et qu’ils avaient des doutes dans leur cœur, alors que Avraham, Itzhaq et Yaakov étaient des croyants fervents et que leur foi ne faillit jamais en dépit des malheurs qui les accablèrent pendant toute leur vie’’ (Khouzari II). Par ailleurs, le Choulkhan Aroukh,  le code de la loi,  établit cette distinction entre le nom divin ‘’Elokim’’ et celui contenu dans les quatre consonnes de ‘’Ado – naï’’, ‘’ l’Etant’’: ‘’la pensée qui doit accompagner l’évocation du nom divin ’’Ado – naï’’, renferme l’idée que D… est maître de tout, et les lettres qui composent  Son nom indiquent : ‘’Il a été, Il est, et, Il sera’’. Par contre, l’évocation du nom Elokim exprime la toute-puissance de l’Eternel et sa souveraineté sur tous les éléments créés. Ainsi donc, D… se révèle dans le monde sous différents attributs. Et si en général Il confie aux forces de la nature créée par Lui, la direction de l’univers selon les lois qui les régissent, et n’intervient plus dans le processus qui leur fut fixé, mais néanmoins, Il en conserve la direction et les oriente selon sa volonté.  D… se dissimule derrière le rideau de la scène. C’est pourquoi Il est appelé ‘’Maître de toutes les forces’’. 

D’autre part, D… ‘’Ado –naï’’,  gouverne l’univers, sa création, en ne tenant pas compte du tout des lois de la nature ; Il agit alors en tant que créateur ex nihilo à tout instant. Lorsque nous prononçons une bénédiction, nous devons avoir présent à  l’esprit   que   la   providence  divine 

gouverne le monde créé par le biais des forces de la nature, et de par sa volonté de porter le monde à l’existence par une révélation manifeste. Dès lors, nous pouvons comprendre cette parole de l’Eternel adressée à Moché Rabbenou : 

‘’Je suis ‘’Ado – naï’’, c’est-à-dire, Celui qui, à l’égard des enfants d’Israël, agira désormais en tant que providence divine, situé au-delà des lois  et des contingences qui régissent la nature créée.

 

 

Grand Rabbin Chalom Benizri.