BÉRÉCHITE (Genèse)
CHÉMOT (Éxode)
VAYIKRA (Lévitique)
BAMIDBAR (Nombres)
DÉVARIM (Deutéronome)

 

 

Entre l’homme et son créateur

‘’Il prit le livre de l’alliance dont il fait entendre le lecture au peuple ; ils dirent : tout ce qu’a prononcé l’Eternel nous l’exécuterons et nous l’écouterons’’(Ex. XXIV – 7)

Cette réponse des enfants d’Israël à l’Eternel en quête de l’homme, est tel un cri de ralliement A ces mots, disent les Sages, une voix retentit du ciel en s’exclamant : qui a révélé à mes enfants ce mystère dont seuls les anges de service connaissent le secret ?(Chabbath 88 a).

Le secret dissimulé dans cette formule semble être à priori  une acceptation docile du joug divin, réservé aux créatures d’une spiritualité intégrale. Comment des êtres de chair et de sang ont-ils pu se saisir de ce joyau ? Emerveillés, les anges de service descendent des sphères célestes pour déposer à chacun des enfants d’Israël deux couronnes : une pour avoir dit : ‘’nous exécuterons’’,et l’autre pour ‘’nous écouterons’’. Ces couronnes leur seront arrachées suite à la faute du veau d’or et leur seront restituées dans le monde à venir, comme l’annonce le prophète Isaïe : ‘’La joie  qui était déjà autrefois, brillera de nouveau sur leur tête’’ (Isaïe XXXV – 10). L’effet produit par cette déclaration nous subjugue et nous interpelle. En effet, quel est le sens et la portée contenus dans ces mots, hormis l’acceptation aveugle de la volonté de D… ? Ne serait-il pas plus valorisant pour l’homme de se mettre en tout premier lieu à l’écoute des enseignements de la Thora avant de s’engager dans leur réalisation ?

Rabbenou Yona  évoque cette question dans son commentaire du traité des Pères. Rabbi Hanina Ben Dossa disait : ‘’Quiconque a plus d’actes que de sagesse, sa sagesse se maintient ; mais quiconque a plus de sagesse que d’actes, sa sagesse ne se maintient pas’’. 

(Pirké avoth III – 9). Ainsi placé dans l’échelle des valeurs, l’acte prévaut à l’étude. En d’autres termes, l’étude ne reste pas au niveau intellectuel, elle engage l’action. C’est par les actes, l’exemple, que l’on éduque plus que par des paroles. De la sorte , la sagesse est actualisée et les paroles du maître atteignent le cœur  des disciples. A l’inverse, on qualifierait de beau parleur  l’éducateur qui ne met ses discours en pratique. 

Rabbi Menachem Mendel de Kotsk disait : ‘’La méthode employée pour donner aux enfants l’amour de l’étude, c’est d’étudier soi-même ; et les enfants ou les disciples viendront imiter spontanément les parents ou le maître’’. Pour Rabbenou Yona, cette Michna apporte un soutien à celui qui n’aurait pas eu la possibilité d’étudier et qui nourrit en son cœur des regrets de ne pouvoir réaliser la mitzva par manque de connaissance. La Michna lui révèle que s’il accepte dans son for intérieur de mettre en pratique tout ce qu’il apprendra désormais et par delà, il acquiert le mérite de toutes les mitzvoth. En d’autres termes, l’engagement pris de tout cœur  d’actualiser la parole qui lui sera adressée, est assimilé à un acte accompli. D’où  l’expression :’’Quiconque a plus d’actes que de sagesse’’. Autrement comment aurait-il pu abonder en actes en absence du savoir qui lui permet la réalisation adéquate ? Il en va de même du fameux ‘’Naassé vé Nichma’’. Nous exécuterons et nous écouterons’’, par lequel les enfants d’Israël ont accueilli l’invitation d’entrer dans l’alliance au Sinaï. Leur prédisposition et leur intention à la réalisation de toutes les mitzvoth, leur attribuent le mérite de l’acte accompli. Cette volonté les conduira certes à approfondir leur connaissance du judaïsme et à comprendre le sens de leurs actes. Il ressort de là que rabbi Hanina envisage deux sortes d’études. Celle enseignée par la pratique, par l’observance acquise depuis la tendre enfance et qui conduit à la recherche du sens à travers la Thora. L’autre est le fait  de personnes qui ne s’intéressent qu’à la science et à la culture juive.

Le Talmud (Chabbath 88 a) rapporte l’histoire d’un apostat qui avait vu Rava assis en tailleur à même le sol, plongé profondément dans l’étude, à tel point qu’il ne s’était pas aperçu que le sang suintait du doigt de sa main prise en étau sous ses pieds. L’apostat l’invectiva : ‘’Espèce de peuple, imprudent, c’est ainsi que vous avez fait précéder votre bouche  à votre oreille’’, allusion à ‘’naassé vénichma’’. Votre précipitation vous a mis en mauvaise posture. Comment pouvez-vous tenir des engagements ‘’naassé’’   avant d’examiner le contenu de votre Thora ? En d’autres termes, peut-on signer un contrat de travail sans prendre connaissance au préalable de son contenu ? ‘’ Rava lui répondit : ‘’C’est à notre égard que le Roi Salomon dit cette parole proverbiale : ‘’L’intégrité des Justes est leur guide, la perversion des gens sans foi est leur ruine’’ (Prov. XI – 3). Ainsi donc, cela dépend de la personne qui présente le contrat. S’il s’agit d’un être de chair et de sang, la raison oblige effectivement d’examiner attentivement le libellé avant signature. Mais si celui qui établit le contrat est l’Eternel, il est tout à fait logique  de signer sans la moindre hésitation. Ceci est corrhoboré par cette autre Michna  qui expose sous forme de parabole  l’antithèse de la sagesse et de l’acte. Rabbi Eleazar ben Azaria disait : ‘’Quiconque a plus de sagesse (science) que d’actes, à quoi ressemble-t-il ? A un arbre dont les branches sont nombreuses et les racines peu fournies : vienne le vent, il le déracine et le renverse sur sa face… Mais quiconque a plus d’actes que de sagesse, à quoi ressemble-t-il ? A un arbre dont les branches sont peu fournies et les racines nombreuses. Dussent tous les vents du monde venir souffler contre lui, ils ne l’ébranleront pas de sa base…’’.

L’image nous présente les branches , symbole de beauté et de séduction ; et les racines de l’arbre, la solidité et la nourriture. Ainsi la pratique des mitzvoth est telle les racines souterraines non exposées ; et les branches , telles la sagesse qui fait l’admiration manifeste.

 

La loi du talion

‘’œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, contusion pour contusion’’(Ex. XXI – 24, 25).

Le principe de base de la justice pénale repose sur la peine proportionnée au délit. C’est ainsi que s’énonce la justice pure dans le cadre du droit mosaïque.  Son mode d’application fixé par la loi orale se traduit par la réparation du préjudice, sous forme de dommages et intérêts. La loi orale s’inspire de l’esprit de la loi écrite qui a pour vocation de proclamer les principes fondamentaux dans leur pureté originelle, de manière stricte et intransigeante. La règle du talion a fait l’objet de critiques ; elle fut ramenée à un niveau de civilisation primitive, contraire à une conscience juridique évoluée. Mais ces objections ne sont pas fondées, car dans son application la doctrine juive est d’une grande humanité. L’indication nous est fournie à travers l’exemple du premier précepte moral adressé à l’homme. En effet, la défense à Adam et Eve de ne point manger le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, tout au début de l’histoire universelle, renferme en elle la reconnaissance par l’homme de ce qu’il doit considérer comme bien, et ce qu’il doit rejeter comme mal. 

Chimchon    Raphaël    Hirsch     écrit :

’’ C’est par la maîtrise des tentations des sens que l’homme devient homme, et cet acte d’auto-discipline se situe perpétuellement au commencement de l’œuvre de l’éducation morale.  Encore aujourd’hui toute exigence de la loi divine place chacun de nous devant l’arbre de la connaissance, et appelle sa décision, soit pour obéir à la voix de nos sens, de notre fantaisie impure, de notre instinct animal, soit pour obéir, conscients de notre mission supérieure à la voix de l’Eternel’’.

Le Zohar dit : ‘’C’est en vertu de la grâce de l’Eternel qu’Il commua la peine de mort prévue dans le plan initial suite au péché, en celle du bannissement du paradis, et de la vie en exil. Cette attitude donne aux hommes l’exemple à suivre dans tous les temps.’’

La forme spécifique que le droit mosaïque a donnée à la règle du talion, bien que d’une rigueur certaine, d’une quête de l’absolu, n’est en fait que plus objective.

Le Grand Rabbin Elie Munk écrit à ce propos :’’ La loi du talion est la négation du juridisme empirique ou politique d’une cité ou d’un empire, des économies de grâces des religions, des équilibres approximatifs des systèmes humains ; il est l’affirmation que tout se pèse et se paie en métaphysique comme en psychologie, en morale comme en sociologie, et dès le présent autant que dans l’avenir, individuellement et collectivement. Aucun des systèmes de rechange si souvent proposés, n’atteint le même degré de logique, de justice et aussi d’efficacité morale et pédagogique.’’

Rappelons que toute atteinte au prochain, à l’instar de ce qui est rapporté dans les versets précités, occasionne un double préjudice. Et c’est en rapport avec cela que s’effectue la réparation. Le dommage présente un aspect matériel, financier ; l’auteur du délit est condamné aux cinq exigences suivantes :1)la réparation du dommage en lui-même ; celui de la valeur    vénale   d’un oeil,  d’une dent etc… 2) le dédommagement de la souffrance infligée 3) versement du coût de la médication et des soins à la lésion causée 4) l’indemnité de chômage 5) l’assistance morale pour la gêne endurée.

Hormis cela, l’auteur du délit ayant provoqué chez la victime un désagrément moral et une épreuve psychologique pour lesquels ceux-ci n’ont nulle autre forme et moyen de réparation que la demande du pardon auprès de la victime. Précisons enfin que si la Thora avait usé d’un langage clairement évident en ce qui concerne la réparation matérielle, nous en aurions conclu que c’est là l’élément essentiel.        Ce  qui   ne   correspond nullement à la notion de la justice pure de la Thora qui tient à demeurer dans sa pureté originelle. L’expression controversée et néanmoins divine ‘’œil pour œil’’ a le mérite de souligner que la personne rendue coupable, doit réaliser la dimension du mal causé comme si elle devait l’éprouver ; car c’est ainsi seulement qu’elle peut accéder au pardon. Mais la Thora a fait preuve de compassion et ne réclame que la réparation matérielle et morale. 

Signalons enfin que le rabbin Elie Munk rapporte que le ‘’jus talionis’’ a été affirmé par Kant comme par les fondateurs du droit international, comme fondement universellement valable      de    la     justice        pénale.

 

L’action et la parole

L’approche de l’étude de la Thora relève de trois domaines, celui de la pensée, de la parole et de l’acte. Ceux-ci procèdent respectivement du niveau de la nechama – de l’âme, du roua’h – du souffle de vie, et du nefech – de l’animation de l’être. Aussi, les créatures célestes, les anges, sont apparentés à l’espèce d’êtres  qui se situent au niveau de la parole. Comme il ressort de l’enseignement talmudique (Haguiga 14 a) : ‘’Chacune des paroles qui émanent de l’Etre Suprême donne naissance à un ange’’. Conformément à cette parole : ‘’Par la parole de l’Eternel ont été façonnés les cieux ; par le souffle de sa bouche, toutes les armées’’ (Ps. XXXIII – 6).

C’est dans le même ordre de pensée que Rabbi Eleazar commente cette expression de la Thora à propos de Bil’am, le prophète des nations :’’D… mit la parole dans sa bouche’’ (Nbres XXIII – 16). ‘’D… lui mit en bouche un ange’’ (Talmud Sanhedrin 105). 

L’homme par contre se situe au niveau de l’action. Son mode d’expression appartient au corps physique, plein de bon sens et de raison. Le but du don de la Thora aux enfants d’Israël a pour objet l’enchaînement de son contenu, extrait d’un mode supérieur, celui de la parole, apparenté aux anges, pour le mettre au niveau de l’action, celle de l’homme.  Cette idée se reflète dans la prière silencieuse du Chabbat, où nous proclamons : ‘’Que Moïse se réjouisse de l’offrande de son héritage, car Tu l’as nommé serviteur fidèle, Tu as placé sur sa tête une splendeur parfaite quand il se tint devant Toi sur le mont Sinaï d’où il redescendit les deux Tables de pierre dans la main. ‘’ Nos Sages soulignent le fait que Moché Rabbenou est descendu portant la Thora en mains. Par cet acte, il signifie le passage du niveau du domaine de la parole dans lequel était renfermée la Thora, à celui de l’acte. C’est à ce propos que le Talmud (Chabbat 88 b) rapporte cet enseignement au nom de Rabbi Yehochoua ben Levi :’’Au moment où Moïse était monté dans les sphères célestes pour rapporter la Thora, les anges de service se sont écriés devant l’Eternel : Maître du monde, que fait un être de chair parmi nous ? L’Eternel leur répondit : il vient recevoir la Thora. Ils Lui dirent : une telle chose précieuse conservée voici neuf cent septante quatre générations avant la création du monde, Tu voudrais en faire don aux êtres de chair et de sang ? Le Saint béni soit-Il invita Moché à leur répondre et celui-ci Lui rétorqua : Maître de l’univers, je crains d’être consumé par le souffle de leur bouche. D… lui dit : Tiens-toi à mon trône et réponds-leur. Moïse dit alors : Dans la Thora que Tu me donnes, il est écrit : Je suis l’Eternel ton D… qui t’a fait sortir d’Egypte. Les anges seraient-ils descendus en Egypte ? Avaient-ils été asservis au pharaon ? Se trouvent-ils au sein des nations adoratrices d’idoles pour qu’ils leur soit recommandé de ne pas se livrer au culte idolâtre ? etc…

En fait, les anges prétendaient que la Thora relève du domaine de la parole. Et de ce fait, elle n’est pas accessible à l’homme. Aussi, en invitant Moïse à se tenir au trône céleste, Il lui signifiait d’y associer la force physique, celle de l’acte matériel, pour l’élever au niveau 

spirituel. En d’autres mots, à l’aide des enseignements de la Thora, tu pourras élever l’œuvre de l’homme et le porter à un niveau élevé, au point qu’il servirait de piédestal au trône céleste.

C’est cet objectif que Moché Rabbenou illustre en rappelant aux anges de service par quel enchaînement la Thora servirait à rétablir et à réhabiliter le monde terrestre et l’humanité.

 

 

 

Grand Rabbin Chalom Benizri.