BÉRÉCHITE (Genèse)
CHÉMOT (Éxode)
VAYIKRA (Lévitique)
BAMIDBAR (Nombres)
DÉVARIM (Deutéronome)

 

 

Hazak véemats !

Dans le livre de Devarim, Moïse notre maître expose dans un long discours à l’adresse des enfants d’Israël, le rappel des événements qu’il a partagés avec eux. En évoquant le récit de l’expédition des explorateurs en terre de Canaan, revient ce verset réservé à l’avenir de Josué : (Deut. I, 38)’’ C’est Josué fils de Noun, ton serviteur, qui y entrera. Fortifie-le, car c’est lui qui en donnera possession à Israël’’. Cette recommandation de l’Eternel à Moïse est répétée de nouveau (Deut. III, 28) :’’Avertis Josué, fortifie-le et affermis-le, car c’est lui qui marchera à la tête de ce peuple, c’est lui qui le mettra en possession de cette terre que tu verras’’. Moïse se conforme à ces ordonnances et au seuil de sa mort, il appela Josué et lui dit, aux yeux de tout Israël (Deut. XXXI, 7)’’Sois fort et vaillant, car toi tu viendras avec ce peuple dans le pays que le Seigneur a juré à leurs pères de leur donner, et toi, tu leur en feras le partage’’.

L’Eternel en personne appelle Josué à la tente d’assignation et lui dit : (Deut. XXXI, 23)’’D… donna cet ordre à Josué, fils de Noun, en lui disant :’ sois fort et courageux car toi tu conduiras les enfants d’Israël vers la terre que je leur ai promise, et moi je serai avec toi’’.

Il ressort de ces versets que l’expression ‘’hazak véemats’’, ‘’sois fort et courageux’’, est adressée à Josué du fait de la mission qu’il est appelé à prendre sur lui et à réaliser, à savoir, conduire les enfants d’Israël à faire la conquête de la terre de Canaan et  en prendre possession. L’examen d’autres textes révèle que cette expression d’encouragement s’adresse à d’autres personnes chargées de mission de nature distincte, telles qu’aux chefs des armées chargés de tenir tête à l’ennemi et de le vaincre. ‘’Hazak véemats’’ exprime alors un encouragement en vue de conforter l’homme dans sa lutte, sans éprouver de crainte et sans faiblir. 

D’autres sources attestent que cette formule d’exhortation ‘’hazak véemats’’ s’adresse également à ceux qui mettent leur espérance et leur confiance en D…. ‘’Hazak véemats’’ prend alors le sens d’un renforcement de la foi et d’un confortement de l’attente de la délivrance. Le roi David emploie souvent cette parole dans ce sens, à travers de nombreux psaumes. Enfin, ‘’hazak véemats’’ s’adresse également à une personne comme un encouragement et un soutien de trouver les forces nécessaires pour la réalisation des prescriptions de la Thora et pour une conduite conforme au mode de vie indiqué dans la Thora. Ainsi donc, le vœu exprimé à travers ces mots ne se prête pas à toutes choses que l’on désire entreprendre ou que l’on s’engage à réaliser, ni à toute personne en chaque occasion. ‘’Hazak véemats’’ est une expression choyée, réservée tout particulièrement à des personnes distinguées et pour une mission sélective ; telles que :

A Josué en vue de l’entrée du peuple en terre de Canaan.

Aux chefs de l’armée et aux vaillants guerriers appelés à être confrontés à l’ennemi.

Aux personnes éprouvées qui risquent de perdre courage et confiance, afin de les conforter dans leur foi, de les assurer et de ranimer leur espérance en D….

Au roi Salomon, pour l’encourager à observer les ordonnances de la Thora et à persévérer dans la voie de la Thora.

Nous pouvons nous demander : pourquoi ‘’hazak véemats’’ s’apparente tout particulièrement aux quatre sujets que nous avons énoncés ?

N’y a-t-il pas d’autres circonstances où l’on souhaiterait entendre formuler ces mots d’une grande portée psychologique et d’un grand réconfort moral et spirituel ? Ce qui caractérise les sujets énoncés, le fil d’Ariane qui les unit, c’est la lutte. La conquête d’Israël, la guerre contre les peuplades qui l’occupent, le partage de la terre à la nouvelle génération née dans le désert, sont source de nombreuses difficultés et de luttes acharnées. Il en va de même en ce qui concerne l’observance de la Thora. De nombreuses difficultés, tant de l’extérieur que de l’intérieur, se dressent devant la personne qui désire se conformer aux commandements de la Thora. L’influence exercée par le milieu ambiant, les multiples embûches rencontrées, nécessitent une lutte âpre et une conscience aiguë du devoir. Et pour cela, il faut l’encouragement et le soutien de tous et de D… . Comme dit l’Ecclésiaste (7 – 20) :’’ Il n’est pas d’homme juste sur terre qui fasse le bien sans jamais faillir’’.

La lutte permanente de l’homme pour se forger une identité, entretenir et encourager les valeurs morales et spirituelles, nécessite ‘’hazak véemats’’. Nos Sages, dans le Talmud (Berakhoth 32 b) nous enseignent : ‘’quatre sujets nécessitent de la fermeté morale : l’étude de la Thora, les bonnes œuvres à exécuter, la prière adressée à D…, et les moyens de subvenir aux intérêts terrestres’’.

A toi, ami lecteur, ‘’hazak véemats’’ !

 

La bénédiction en question

‘’… Ecoutez vos frères et jugez équitablement entre un homme et son frère, et l’étranger’’ (Deut. I – 16).

Rachi souligne cette expression ‘’jugez équitablement’’, comme étant la source du  commandement positif de la Thora, imparti aux juges, d’exercer leurs fonctions. (dans le traité Ketouboth 106 a).  Le Hatam Sofer analyse la question de savoir pourquoi dès lors, avant de siéger pour accomplir leur devoir, les juges ne prononceraient pas la bénédiction : ‘’Qui nous a sanctifiés par ses commandements et nous a ordonné de rendre justice’’, comme il est indiqué de le faire avant l’accomplissement de toute prescription positive. Il conclut : l’absence de bénédiction est motivée par la crainte que les prévenus n’acceptent pas le verdict, et qu’alors, cette bénédiction serait vaine. 

Le Rabbin Baroukh Halevi Epstein, dans son commentaire ‘’Tossefeth Berakha’’, rejette cette justification, en soulignant que la fonction des juges ordonnée par la Thora, n’est pas conditionnée par la conduite ultérieure des parties en cause. Ce qui adviendra par la suite, au niveau des personnes jugées, n’entrave nullement le devoir des juges de rendre justice. L’ordonnance de la Thora ‘’Ne hais point ton frère en ton cœur : reprends ton prochain, et tu n’assumeras pas de péché à cause de lui’’ (Lév. XIX – 17) en est un exemple, et montre que, bien que ce devoir soit conditionné par la disposition morale du destinataire à accepter la réprimande, il nous incombe néanmoins d’accomplir la mitzva, et de s’adresser à lui en privé pour lui faire la remontrance en termes polis et mesurés, car dans un tel cas, il n’est pas dit que cela le heurterait. A plus forte raison en ce qui concerne l’exercice de la justice, où il est plus que probable, et l’on serait plutôt enclin  à le croire, que les personnes concernées se conformeront au verdict rendu.

De nombreuses autres prescriptions de ce genre souffrent de la même crainte et leur entreprise risque de ne pas aboutir au but escompté ; et pourtant l’on considère que n’étant pas  habité par la crainte de l’échec qui peut survenir et qui entraverait l’accomplissement de la mitzva à cet instant même, l’on récite la bénédiction préalable.

Par exemple, il est du devoir du chohet, la personne chargée de l’abattage rituel, de réciter la bénédiction avant de passer à l’acte. Celui-ci ne se soucie guère  de l’éventualité qu’à l’examen, la bête soit déclarée impropre à la consommation conformément aux lois et  rites de la chéhita. 

De même en ce qui concerne la prescription positive de séjourner dans la soucca, les jours de Souccoth, la personne désireuse d’accomplir la mitzva, ne prête pas attention, un jour d’un ciel couvert, à renoncer à la récitation de la bénédiction, dans le doute qu’il pleuve et qu’elle ne puisse demeurer dans la soucca,  ce qui invaliderait alors la bénédiction !

Cependant, on pourrait opposer à cela, le cas de la femme en période de flux, à laquelle il est prescrit de faire le décompte des sept jours de pureté, au terme des menstrues. Dans ce cas, en l’occurrence, les Sages du Talmud indiquent qu’elle doit s’abstenir de réciter la bénédiction avant de faire ce décompte, dans le doute qu’elle pourrait avoir des pertes au cours de ces sept jours et quelle soit dans l’obligation de recommencer le compte. Alors la bénédiction aurait été superflue et elle aura ainsi prononcé le nom de D… en vain.

Il apparaîtrait donc, que l’on évite de faire la bénédiction par mesure préventive lorsqu’il est à craindre que la mitzva ne puisse être réalisée pleinement. Il faut souligner néanmoins le caractère exceptionnel de ce cas, lié au fait que l’interruption du compte des jours de pureté remet tout en cause depuis l’instant initial ; et la bénédiction devient caduque. 

Par contre, en ce qui concerne les juges, l’exercice de leur art n’est frappé d’aucune remise en question à l’instant où ils entreprennent leur devoir de juge.

Le hatam Sofer soulève la même question à propos du récit de la sortie d’Egypte, la nuit pascale. En effet, là aussi nous sommes en présence d’une prescription positive ; suivant les termes de la Thora : ‘’Tu raconteras à ton fils’’. Et nos Sages n’ont pas jugé bon d’instituer  la récitation d’une bénédiction avant de procéder à l’accomplissement de cette ordonnance de la Thora. 

Parmi les nombreuses réponses suggérées, le Hatam Sofer penche pour l’avis de Ha Rachba *. Ce dernier formule la question similaire à propos de la prescription relative à la tsedaka, le devoir du don aux personnes démunies, soit une prescription positive de la Thora ;  et pourtant nos Sages n’ont pas institué de bénédiction avant sa mise en pratique. Le Rachba explique l’absence de bénédiction au fait que l’accomplissement de celle-ci dépend de l’agrément de l’indigent qui reçoit la tsedaka, de sa libre volonté de recevoir cette aide ou de la refuser. Aussi, la bénédiction ne peut reposer sur un acte qui pouvait empiéter sur la liberté d’autrui. 

De même en ce qui concerne la narration de la sortie d’Egypte, l’interlocuteur pourrait se révéler réfractaire au récit. Cet argument pourrait s’étendre également au jugement rendu pouvant être rejeté par les personnes concernées. La réponse suggérée par Rachba rencontre l’avis contraire du Hatam Sofer dans le ‘’Or Hakhaïm’’ (chap. 54). Celui-ci estime que les propos de Rachba ne peuvent s’appliquer effectivement qu’aux prescriptions mettant en rapport l’homme vis à vis de son prochain. En effet, le but étant la recherche du bien-être d’autrui, tel que la tsedaka, le rejet  de ce bien  annule la mitzva. Certes, il ne convient pas en de telles circonstances, d’instaurer une bénédiction pour une mitzva dont la réalisation est hypothétique. Par contre lorsqu’il s’agit d’une ordonnance religieuse mettant en rapport l’homme et son créateur, et qui réclame uniquement la présence d’une tierce personne pour sa mise en application, la bénédiction devrait s’imposer.

Tel le cas de la relation conjugale, dictée par la volonté d’accomplir le commandement de l’Eternel : ‘’Fructifiez et multipliez’’, et d’autres prescriptions analogues, l’intention première étant de réaliser l’ordre de l’Eternel, même si la mitzva ne se traduit pas dans l’acte   par   suite   du   refus       du partenaire,  le législateur l’admet et la considère comme si elle s’était accomplie. Aussi, la bénédiction préalable devrait s’imposer de même en ce qui concerne la mitzva du récit de la sortie d’Egypte et celle de la tsedaka ; celles-ci  relèvent du rapport entre l’homme et son créateur ; et la présence du receveur, le récipiendaire qui pourrait l’agréer ou la refuser à sa guise, n’interfère nullement dans le projet de la personne désireuse de se conformer à l’ordre divin. Cet argumentation pourrait s’appliquer aux cas évoqués: le jugement rendu, le récit de la sortie d’Egypte, l’obligation du don et la procréation. Et dès lors, la question ressurgit de nouveau, à savoir pourquoi la pratique de ces mitzvoth n’est pas précédée de la bénédiction habituelle .

Aboudraham tente de résoudre la question à propos de la mitzva de la tsedaka et celle du récit de Pessah, en faisant valoir que ces deux mitzvoth tentent de remédier à l’état de pauvreté, de la misère de l’autre, ou encore de rappeler les événements couverts par l’oubli. Aussi, il ne convient pas d’instituer une bénédiction qui reposerait sur le constat d’une imperfection, et qui résulte de la misère ou de l’oubli. Cet élément de réponse n’est pas pleinement satisfaisant au vu de  l’énumération des diverses ordonnances positives de la Thora. Telles que la restitution de l’objet perdu, l’aide à apporter à la personne en détresse, le respect du père et de la mère, la rétribution de l’ouvrier journalier, la justesse des poids et mesures, la réprimande, le respect des personnes avancées en âge. Aussi , le Rabbin Baroukh Halévy Epstein propose la réponse suivante, puisée du libellé même  de la bénédiction formulée par nos Sages, et dont les mots-clés sont : ‘’acher kidéchanou bemitzvotav – qui nous a sanctifiés par ses prescriptions’’. Le mot ‘’kidéchanou’’ introduit la notion de distinction, telle que toute chose consacrée au Temple, qui devient  réservée à un usage distinct et spécifique. L’exemple le plus éloquent est celui du marié qui consacre la fiancée en lui disant : ‘’Te voilà consacrée à moi’’. Il lui signifie par là :’’tu es distinguée et vouée exclusivement à l’entité que nous formons’’ ; et elle doit se réserver uniquement à son époux. Ainsi donc l’expression ‘’acher kidéchanou bemitzvotav’’ s’applique exclusivement aux prescriptions particulières, réservées au peuple juif, telles que la circoncision, les phylactères, le châle de prières, la matsa le soir du Seder, le choffar à Roch Hachana, la soucca, le loulav, et d’autres mitzvoth analogues où il est question d’éléments qui distinguent et singularisent le peuple juif parmi les nations.

Par contre, les mitzvoth qui peuvent résulter de la réflexion humaine,  qui s’imposent à son bon sens, à sa logique et à sa sagesse, n’ont aucun rapport avec la notion du sacré, dans le sens où le judaïsme l’entend. En effet, toutes les nations civilisées ont conscience de la nécessité de l’altruisme, de l’entraide, de l’honnêteté intellectuelle, du droit de la justice ; en somme des valeurs sociales et humaines inhérentes à la bonne marche de la collectivité humaine, à son équilibre harmonieux et à la concorde. Aussi, les devoirs tels que  la restitution de l’objet perdu, le soutien à apporter au prochain, l’honneur des parents, la rétribution de l’ouvrier journalier, l’équité dans les poids et mesures, la réprimande pour redresser les torts, le respect du vieillard, s’inscrivent dans la quête des valeurs d’une éthique morale et sociale. Quand bien même ces valeurs ne nous auraient pas été prescrites par la Thora, nous aurions eu le devoir de les découvrir et de nous y conformer. C’est pourquoi,  nul énoncé de bénédiction ne pourrait leur être appliqué. 

Voilà la raison toute simple pour laquelle les juges ne prononcent pas de bénédiction avant d’accomplir leur devoir, qui échappe au label ne relevant pas de : ‘’acher kidéchanou bemitzvotav’’.

Cette analyse  nous permet de comprendre l’enseignement de Rabbi Hananya ben Akachia, dans la Michna qui termine le traité de ‘’Makoth’’, et qui vient ponctuer chaque chapitre des ‘’Pirké Avoth’’, ainsi que toute étude de l’enseignement de nos Sages : ‘’ Le Saint béni soit-Il a voulu procurer des mérites à Israël. C’est pourquoi il multiplia pour eux, la Thora et le commandement’’, selon la parole du prophète Isaïe : ‘’Le Seigneur a voulu, pour manifester sa justice, que la Thora soit grande et glorieuse’’ (Is. XLII – 21). On pourrait rétorquer à cela que si la multiplication des prescriptions de la Thora entraîne l’augmentation du mérite qu’elle procure, n’ en va-t-il pas de même pour le châtiment que l’Israélite encourrait s’il venait à les négliger ? Et dès lors, pourquoi multiplier le nombre des mitzvoth? Mais si l’on considère qu’il s’agit en vérité de prescriptions d’ordre civique, moral et social, et dont le respect s’impose à nous ; nous comprendrons aisément que le fait que ces lois nous soient dictées, c’est par égard pour le peuple d’Israël, pour qu’ils en retirent le mérite de l’obéissance à la parole de l’Eternel. En effet, nous aurions pu les adopter, même en absence de toute ordonnance de la Thora,  tout simplement, en accord avec les normes sociales, le droit universel, le respect mutuel, la tolérance, le droit à la vie privée et à la liberté, en vue d’une vie en harmonie et dans la paix. Mais conformément au principe bien connu : ‘’Grand est le mérite de la personne qui obéit à l’ordonnance de la loi et la met en pratique, que celui qui s’y conforme volontairement’’ ces lois s’inscrivent dans la Thora et s’imposent à nous. En effet, le commandement induit l’obligation et le devoir du respect scrupuleux. Par contre,  l’ordonnance laissée à notre libre volonté, nous préoccupe moins.

 

Rabbi Chelomo ben Aderet (1245 – 1310)

 

 

Grand Rabbin Chalom Benizri.