BÉRÉCHITE (Genèse)
CHÉMOT (Éxode)
VAYIKRA (Lévitique)
BAMIDBAR (Nombres)
DÉVARIM (Deutéronome)

 

BÉRÉCHITE (Genèse)

 

 

L’altruisme  ‘’Zé nihné vézé lo hasser’’

Le patriarche Avraham était assis devant la porte de sa tente, lorsque trois hommes vinrent dans sa direction. Avraham courut à leur rencontre et leur offrit l’hospitalité. Ces trois hommes se révélèrent être des messagers de l’Eternel ; l’un portant l’annonce de la prochaine maternité de Sarah et la naissance d’Itzaq ; le second , la guérison du patriarche suite à sa circoncision ; le troisième, la destruction prochaine de Sodome et Amora.

Au sujet de cette dernière, D… dit : ‘’Devrais-je dissimuler à Avraham ce que je fais ? Comme vous , dit l’Eternel à ses anges, Avraham est un  envoyé de l’Eternel sur terre. Et cette décision est capitale pour la réalisation de sa mission’’. Aussi D… dit :’’Bien que la clameur sur Sodome et Amora soit grande et que leurs péchés pèsent très lourd, je veux néanmoins descendre et voir si, comme l’éclat qui m’est parvenu de cette clameur, ils ont déjà encouru l’anéantissement ; sinon je les considérerai chacun individuellement’’. Suite à cela, la Thora relate l’intervention du patriarche Avraham, introduite par cette supplique adressée à l’Eternel :’’Entraînerais-tu donc dans la ruine le juste avec le coupable ?...Cela, je le sais, serait un sacrilège pour Toi ; comment, le Juge de toute la terre n’exerce-t-il pas la justice ?’’

Toute cette scène dramatique et poignante ne définit pas clairement la nature de cette clameur et du délit qu’elle recouvre. 

Nos sages tentent, à travers le Midrach, de nous révéler la gravité de la perversion de Sodome et Amora, qui leur a valu d’être condamnées à l’anéantissement. Nos Sages procèdent également par recoupements avec d’autres textes pour faire apparaître la dureté inhumaine des habitants de ces deux villes, de leurs délits sur le plan des relations humaines et de leurs railleries par rapport à la pratique de la clémence  et de la justice qui les rendent coupables de dégénérescence morale et d’abandon de la voie de l’Eternel.

Nos sages font référence à l’attitude immorale sous sa forme la plus éclatante , dans l’épisode de la concubine du Lévite de Guibéa (Les Juges XIX  à  XXI), où il est indiqué que la tribu de Benjamin avait sombré dans l’immoralité, tels les habitants de Sodome et Amora. 

Par ailleurs, nos Sages dans les Maximes des Pères , chapitre 5, énumèrent quatre dimensions morales chez l’homme :

-celui qui dit : ‘’ce qui est à moi est à moi, et ce qui est à toi est à toi’’. C’est le type moyen, et d’après certains, c’est celui de Sodome.

-‘’ce qui est à moi est à toi’’. C’est le type populaire.

-‘’ce qui est à moi est à toi, et ce qui est à toi est à toi’’. C’est le type pieux. 

-‘’ce qui est à moi est à moi, et ce qui est à toi est à moi’’. C’est le méchant. 

Il ressort de l’avis du maître qui assimile le premier cas cité à l’attitude de Sodome, que ceux-ci incarnent dans la tradition juive  l’égoïsme exacerbé mis en parallèle dans la Michna avec le respect du bien d’autrui, avec le même zèle que le sien propre. En effet, cette façon d’agir où tout avantage à autrui est refusé, même lorsque cela n’entraîne aucun désavantage  pour soi, conduit à l’attitude des Sodomites qui, malgré la richesse de leur cité, avaient banni sous peine de mort, l’hospitalité.

Ainsi cette dernière opinion traduit l’extrême extension de la première , et c’est pourquoi l’Eternel dit : ‘’Je veux néanmoins descendre et voir si , comme l’éclat qui m’est parvenu de cette clameur, ils ont déjà encouru l’anéantissement ; sinon, je considérerai chacun individuellement’’.

En d’autres termes, l’Eternel veut examiner si leur délit est déjà arrivé à son comble, de sorte qu’ils se seraient attirés leur propre anéantissement.

Refuser à l’autre le bien qui peut lui profiter, sans que cela n’occasionne aucun inconvénient pour soi, est considéré comme l’amorce d’une dégradation morale  qui finit par conduire à l’immoralité de Sodome et Amora.

 

 

 

Le devoir de l’hospitalité

 

‘’D… apparut alors à Avraham sous les arbres de Mamré, tandis qu’il était assis devant la porte de sa tente, au moment où le jour était ardent’’ (Gen. XVIII – 1)

Le Shekhina , la présence divine, se manifeste pour rendre visite à Avraham affaibli, souffrant, au troisième jour de sa circoncision. Nul doute que si l’un de nous avait eu le mérite de recevoir une telle visite, il y aurait prêté une attention de toutes les fibres de son âme. En l’honneur de cet hôte , le plus glorieux  et le plus honorable de l’univers, rien n’aurait pu le distraire le moindre instant de son devoir et du bonheur d’accueillir un tel hôte. Et pourtant, à notre grand étonnement, le patriarche Avraham ‘’leva les yeux et vit, et voici, trois hommes s’étaient arrêtés dans sa direction …’’(v. 2). Que penser de cela , alors que l’aspiration de l’homme dans son existence est de s’attacher à D… de toutes ses forces ? On ne comprend pas comment Avraham parvenu en cet instant au sommet culminant de la proximité de l’Eternel, porté à l’état de perfection de l’homme au point d’ avoir le mérite de recevoir en visite la présence divine dans toute sa gloire, détourne son attention pour porter son regard à l’entour et se réjouir en cet instant suprême à la vue de trois voyageurs. Comme en témoigne le texte  ‘’… Il courut à  leur rencontre depuis l’entrée de sa tente et se prosterna jusqu’à terre’’. La correction la plus élémentaire ne dicte-t-elle pas de ne point détourner le regard en présence d’un interlocuteur ? Une telle attitude n’est-elle pas condamnable du fait du manque de respect vis-à-vis de son prochain ? Comment interpréter cette conduite et ces paroles d’Avraham à l’égard du roi des rois ? ‘’Mon D… , si déjà j’ai trouvé grâce à tes yeux, ne te retire donc pas d’auprès de ton serviteur’’.

Nos Sages du Talmud précisent : l’ expression du verset : ‘’ne te retire donc pas d’auprès de ton serviteur’’ s’adresserait à D…(Chabbath 127 b). En d’autres mots, non seulement Avraham porte son attention aux trois étrangers en présence de D…, mais il demande à ce dernier de ne pas se retirer d’auprès de lui et d’attendre jusqu’à ce qu’il offre l’hospitalité aux trois hôtes, lesquels, dit le Talmud sont soupçonnés d’idolâtrie aux yeux du patriarche Avraham (Baba Metsia 86 b). Dès lors, comment expliquer cela ?  Le Talmud retient en premier cet enseignement (chabbath 127 a), celui d’inculquer ce principe à ses enfants à l’aide de l’exemple d’Avraham : ‘’Offrir l’hospitalité à des voyageurs de passage est plus important  que de se tenir en présence de D…’’ Et même s’il s’agit de personnes idolâtres, incirconcis, il faut faire preuve à leur égard du devoir d’amour du prochain et mettre à contribution toute sa maisonnée , femmes et enfants, pour les accueillir et les réconforter. 

Avraham tenait à manifester cela aux premiers hôtes qui se présentaient à lui dans son état de premier circoncis. Dans son isolement dû à la pratique de l’alliance de la circoncision, Avraham lance un appel à ses descendants, d’être les plus humains des hommes. C’est pour entretenir de tels nobles sentiments humains que les descendants d’Avraham ont été isolés en tant que héros de cette disposition d’esprit. C’est ce qui a valu à Avraham d’être nommé ‘’père d’une multitude de nations’’ ; en d’autres termes, le père spirituel et la force édifiante de la masse des peuples. 

Si Avraham s’est empressé de sortir devant sa tente au moment où le jour était ardent, c’est pour exercer son immense amour du prochain. Et alors que D… lui parle, il cherche des yeux à qui offrir l’hospitalité, afin d’exercer à son égard le devoir d’amour du  prochain. C’est cet héritage de générosité du cœur, de la main tendue, de la maison ouverte, de l’esprit de dévouement pour toute fin humaine, que le peuple juif a reçu et a répandu à toute l’humanité.

Le Choulkhane Aroukh, le code de la loi, aurait du alors stipuler en corrélation avec ce qui précède, que la personne en prière silencieuse devant l’Eternel, devrait s’interrompre à l’approche d’un étranger de passage pour lui offrir l’hospitalité. Ce qui n’est pas le cas. La réponse tient en le fait que toutes les indications de loi dans le Choulkhane Aroukh, ont pour objet de nous instruire du comment accomplir la volonté de l’Eternel. Or, la personne en prière ne peut abandonner son service cultuel pour accomplir une autre tâche, un autre devoir, tel que l’hospitalité. Mais pour Avraham,  l’accueil de la présence divine ne rentrait pas dans le cadre d’un service cultuel, mais dans une forme de récompense. L’Eternel s’est révélé à lui et lui offre sa présence réconfortante pour atténuer ses souffrances dues à la circoncision.  Recevoir la présence divine est un moment de délice, de même nature que celui réservé dans l’au-delà. C’est pourquoi lorsque Avraham vit les trois voyageurs de passage, il a donné la prépondérance au devoir  qu’il lui incombait de réaliser dans le monde présent. La récompense peut attendre ; et par conséquent il a jugé primordial d’offrir l’hospitalité plutôt que de se tenir en présence de D…. Mais pour cela il faut au préalable  s’élever au niveau du patriarche Avraham, et tant qu’on n’a pas atteint ce degré, on ne peut interrompre une prière silencieuse pendant laquelle on se tient debout devant l’Eternel, pour accueillir une personne de passage. 

 

‘’Hessed’’, le don de bonté

‘’L’Eternel dit : La complainte de Sodome et Amora est grande, leur perversité est excessive, Je veux y descendre et Je verrai ; si selon sa plainte qui est venue à moi, ils ont agi, c’est l’extermination ; et sinon, Je saurai’’ (Gen. XVIII – 20, 21).

Le Midrach Rabba rapporte : Rabbi Chimon ben Yo’haï enseigne : C’est là une des dix descentes de la divinité mentionnées dans la Thora. Rabbi Abba ben Kahana ajoute : Cela prouve que D… leur ouvrit la porte du repentir, car il est dit : Je veux y descendre et Je verrai. Peut-être se seront-ils repentis, même s’ils avaient agi selon la plainte qui m’est parvenue et qui devait entraîner leur extermination. Sinon, Je saurai leur apprendre qu’il existe un attribut de justice rigoureuse dans le monde.

Nahmanide explique que le terme ‘’descendre’’ appliqué à D… se rapporte à la descente sur l’échelle des attributs divins. D… quitte en quelque sorte son piédestal d’amour et descend au degré inférieur où se situe la justice intégrale. En d’autres termes, lorsque les hommes deviennent prisonniers de leurs passions au point qu’ils ne trouvent plus la force ni la volonté d’un relèvement moral, D… leur offre son aide, ‘’Il descend vers eux’’. Il leur ouvre ainsi la porte du redressement, du repentir de leur égarement. Certes, certains demeurent insensibles, mais d’autres sentent alors dans les profondeurs de l’âme une attirance vers le bien, et l’étincelle de l’amour de D… jaillit à nouveau dans leur cœur. Ainsi donc l’expression ‘’L’Eternel descend’’ témoigne de la clémence divine qui désire le repentir du pécheur. D… s’approche de l’homme et se laisse trouver de celui qui le cherche. L’emploi dans le texte du nom divin Tétragramme, désigne l’attribut de D… plein de mansuétude, en dépit du péché de la personne rebelle. La finale de la phrase ‘’Sinon Je saurai’’, permet de laisser la décision définitive en suspens et offre au patriarche Avraham l’occasion d’intercéder en faveur des habitants de Sodome et Gomorrhe, de cette population proscrite. 

Les crimes reprochés à Sodome et Amora sont avant tout d’ordre social et moral ; comme l’atteste cette parole du prophète Ezéchiel : ‘’Voici quel a été le crime de Sodome : l’orgueil d’être bien repue et d’avoir tous ses aises s’est trouvé en elle et en ses filles, et elle n’a pas soutenu la main du pauvre et du nécessiteux. Elles ont été hautaines, elles ont commis des abominations devant Moi et Je les ai supprimées quand J’ai vu cela’’ (Ez. XVI – 49,50).

Le Rabbin Elie Munk rappelle cette tradition qui rapporte que ‘’cette ville pratiquait la xénophobie, au point que même l’antiquité, cependant peu sensible aux principes d’humanité, en était effrayée. De plus, toutes les couches de la population de Sodome étaient atteintes par le vice depuis les jeunes jusqu’aux vieux, tout le peuple de tous les coins’’. 

Le Talmud (Sanhedrin 109 b) souligne l’adjectif ‘’Raba’’ de la grande complainte de Sodome et Amora, pour dire que le mot ‘’raba’’, ‘’grande’’ dans le texte, fait allusion à ‘’Riva’’, jeune femme, jeune fille de Loth selon le Midrach (Pirké de Rabbi Eliézer). Il s’agit de la complainte de cette jeune femme torturée à mort pour avoir donné à manger à un pauvre. Le Midrach suggère en outre le rapprochement des deux mots ‘’raba’’ dans le texte, dont l’un est employé ici, l’autre à propos du déluge dans le verset : ‘’L’Eternel vit que les méfaits de l’homme se multipliaient sur la terre et que le produit des pensées de son cœur était uniquement et constamment mauvais’’ (Gen. VI – 5) ; et conclut de cette similitude que les habitants de Sodome récidivèrent et commirent les mêmes iniquités que les contemporains de Noé. Ces derniers furent châtiés par un déluge d’eau, et ceux-là par un déluge de feu. 

La perversion morale, son extension invraisemblable et la participation unanime de tous les habitants aux attentats contre la morale, leur a valu leur sort terrifiant. Et nonobstant tout cela, l’Eternel dit : ‘’Cacherais-Je à Avraham ce que Je vais faire ?’’

Rachi dit à ce propos : Au sens littéral cela signifie : ‘’Puis-Je le laisser dans l’ignorance alors qu’il M’est cher, au point que Je ferai de lui un grand peuple et que tous les peuples de la terre seront bénis en lui’’.

Certes, D… veut qu’Avraham sache et qu’il apprenne à sa postérité l’action d’une justice providentielle. Et en outre que la responsabilité morale de la génération incombe au Juste qui inspire son siècle. A priori on aurait pu penser qu’un homme tel que le patriarche Avraham totalement imprégné de bonté, aurait pu éprouver une immense joie à l’annonce de la nouvelle de l’anéantissement de Sodome et Amora, antithèses de la bonté. En effet, qui mieux que lui aurait pu s’exclamer :

‘’ Ceux-ci méritent bien leur sort, et leur destruction est même bénéfique pour toute l’humanité car elle permet d’enrayer le mal personnifié’’.Loin de là, Avraham Avinou, non seulement n’a éprouvé aucune satisfaction, mais bien au contraire, il intercède auprès de l’Eternel en leur faveur.

Ceci confirme l’enseignement au nom de Rabbi Lévi : Avraham se tourmentait sur la génération du déluge car il estimait impossible qu’elle n’ait pas compté vingt ou dix Justes dont les mérites eussent pu la sauver.

Ainsi donc le ‘’hessed’’, la bonté chez le patriarche Avraham n’est pas un simple idéal de vie, mais un attachement profond aux attributs de son créateur qui ne veut pas la mort du pécheur mais son repentir.

 

L’epreuve

‘’D… dit à Avraham : ‘’Va pour toi-même, de ton pays, de ton lieu de naissance et de la maison de ton père, vers le pays que Je te montrerai . Je ferai de toi un grand peuple, Je te bénirai, et Je désire laisser grandir ton nom ; deviens source de bénédiction ! Je désire bénir ceux qui te bénissent, et celui qui t’a maudit, Je le maudirai ; et toutes les familles de la terre seront bénies grâce à toi’’ (Gen. XXII – 1 & 2).

Cette section de la Thora est introduite d’une façon surprenante par le choix porté sur Avraham par l’Eternel, au sein de l’humanité. Avraham est appelé à donner naissance à une grande nation, à être porteur de la bénédiction et à avoir la renommée. Et pour tout cela, la Thora ne donne aucune explication, aucune justification, qui puisse nous renseigner sur le mérite qui a valu à Avraham plus qu’à tout autre, d’être l’objet de cette élection.

A l’égard de Noé, la raison de sa sauvegarde, bien que succincte, nous permet de savoir ce qui l’a préservé des eaux tumultueuses du déluge. Comme en témoigne le texte :’’Noah trouva cependant grâce aux yeux de D…’’ – ‘’…Noah, un homme juste, était de mœurs pures à son époque ; Noah cheminait avec D…’’(Gen. VI – 8 & 9).

Moïse a également bénéficié de la révélation de D… au buisson ardent, de façon inattendue et surprenante, et eut le privilège d’être le messager de l’Eternel auprès du pharaon. La Thora témoigne néanmoins à son sujet de ses œuvres de grande valeur, et qui attestent d’un homme qui soutient les persécutés, qui se soulève contre l’iniquité et l’exploitation de l’homme. Notamment en intervenant pour soustraire un Hébreu aux griffes de son oppresseur égyptien.

Moïse intercède en faveur des filles de Yithro pour les protéger du mauvais traitement que leur infligeaient les autres bergers. 

En ce qui concerne Avraham, la Thora ne nous fait pas le récit propre à nous présenter les mérites de cet homme ; et  par-delà le motif de l’appel que lui adresse l’Eternel. 

Nos Sages, conscients de cette difficulté, ont tenté de nous éclairer en nous rapportant des anecdotes et des événements qu’avait connus Avraham dans sa tendre jeunesse : comment il reconnut son créateur alors qu’il n’était âgé que de trois ans – comment il a brisé les idoles dont son père faisait commerce – et comment il fut jeté dans le brasier par le roi Nimrod – etc…

Mais tout cela n’est pas écrit dans la Thora. Certes, dit Rabbi Moché Bar Nahman, ces faits divers et les tensions que vécut le patriarche Avraham, sont authentiques. La difficulté est de savoir pourquoi la Thora ne les a pas exposés. 

Nahmanide justifie cela en avançant que la Thora n’a pas souhaité évoquer les idées prônées par les adorateurs d’idoles. Et pour ne pas devoir les exposer, elle passa sous silence la confrontation au monde païen que connut le patriarche Avraham. C’est pourquoi l’Eternel le soumet à cette épreuve et lui ordonne de quitter son pays, son lieu de naissance et la maison paternelle. De sorte qu’il prit ses distances vis à vis de ceux qui le persécutaient à cause de sa croyance.

Avraham est invité à aller répandre la connaissance et la foi en D… en d’autres lieux plus cléments. Et pour le conforter dans cette mission, D… lui promet qu’il réussira à fonder une grande nation, qu’il deviendra source de bénédiction et qu’il connaîtra la renommée.

Le Maharal de Prague avance que D… a fait choix d’Avraham, sans que celui-ci ait un mérite quelconque. Son élection n’est liée à quoi que ce soit ; sans quoi elle aurait été conditionnée par sa conduite. 

Nous pouvons y ajouter que l’objectif d’Avraham était de répandre le nom de D… dans le monde. Et pour être digne et prêt à assumer cette charge, Avraham devait surmonter l’épreuve à laquelle il est soumis : celle de se détacher de son passé, de quitter son pays, sa terre natale, et même la maison paternelle, pour vivre une vie de nomade, d’errer d’un lieu à l’autre. Il lui faut être à même de prendre sur lui de mener une vie singulière, celle de l’homme qui ne jouit pas de la sympathie de son entourage, celle d’un homme qui vit l’exclusion dans sa chair.

C’est en cela que consiste la première épreuve que connaît Avraham, la plus dure qu’il aura à surmonter. C’est pourquoi la Thora n’accorde aucune importance à son passé. Ce n’est nullement ce vécu qui l’aurait prédisposé à être apte au rôle qu’il devra assumer ; mais c’est l’avenir, celui de l’épreuve.

Ce rôle réclame de l’homme un dévouement absolu, sans limites, sans entraves. Il doit être disposé à sacrifier son être ;voire même ce qui lui est le plus cher, son devenir, son fils, pour réaliser son objectif. L’épreuve consiste donc à se détacher de ce devenir. Si l’on tente de mettre en parallèle les deux épreuves, celle de ‘’lekh lekha’’ et celle de la ‘’akéda’’, nous y découvrirons des similitudes très proches. Dans la première, l’Eternel parle à Avraham ; et dans la dernière, la parole est également adressée à Avraham. Et la même expression revient dans l’une comme dans l’autre, à travers les mots ‘’lekh lekha’’, que l’on traduit par ‘’va pour toi-même’’. Cette quête de soi est dirigée ‘’vers le pays que Je te montrerai, ou à l’une des montagnes que Je te dirai’’. 

Ainsi donc, c’est dans les mêmes termes que D… établit la relation à travers le verbe, l’injonction et le lieu vers lequel il faut converger. Avraham s’en va ; ou encore, il se lève et se met en marche, conformément à la parole de l’Eternel ; ou encore dans la direction du lieu indiqué par l’Eternel. Et alors que D… est désigné par le nom qui met en relief son attribut de bonté, il apparaît dans la dernière épreuve, dans son nom attribut de justice. Avraham, appelé à porter le nom de D…, à répandre son unicité dans le monde, doit être disposé à offrir ce qui lui est le plus cher : son passé et son devenir, afin d’atteindre le but ultime, celui de répandre la connaissance de D… et la consécration de son nom.

La Thora n’est pas un livre d’histoire. Elle ne nous expose que les éléments significatifs en vue de l’objectif qu’elle veut atteindre. C’est pourquoi, elle fait seulement le récit des événements chargés de sens pour la destinée d’Avraham dans le monde. Aussi, le passé de cet homme n’a pas d’importance. Il l’a occulté, de même qu’il est prêt à sacrifier son avenir, son fils unique. 

Nous savons que l’œuvre des pères préfigure celle des enfants. Les descendants d’Avraham, le peuple d’Israël, tout au long de son long exil, ont erré d’un pays à l’autre. Ils furent chassés de différents pays afin de préserver leur judaïté. Les descendants d’Avraham ont poursuivi la tradition du ‘’lekh lekha’’, sans se préoccuper de leur passé, de la richesse et de la situation qu’ils connurent dans les pays de leurs pérégrinations. Une multitude de Juifs, des communautés entières, se sont sacrifiés pour la sanctification du nom divin. Ils ont offert leur devenir au nom de leur judaïsme, au nom du D… UN. Les descendants d’Avraham ont ainsi poursuivi la tradition de la ligature d’Isaac. 

Le patriarche Avraham a surmonté les épreuves, et ses descendants n’ont pas trahi sa vocation. En effet, les épreuves de ‘’lekh lekha’’ jusqu’à la ligature d’Isaac, se sont pleinement réalisées, tout au long de l’exil.

Mais la promesse ‘’Je te bénirai et Je proclamerai ton nom’’, ne s’est pas concrétisée du tout. 

Nonobstant les réussites dans les pays d’adoption, tout en comptant dans leurs rangs les plus grands scientifiques et créateurs, ils ne jouirent point d’une haute estime. Et toutes les familles de la terre ne furent pas bénies par eux. D… dit à Avraham ‘’d’aller vers le pays qu’Il lui montrera et qu’Il fera de lui un grand peuple, qu’Il le bénira et qu’Il laissera grandir son nom qui deviendra une source de bénédiction’’. Il lui dit également ‘’Je désire bénir ceux qui te béniront, et ceux qui te maudiront, Je les maudirai, et toutes les familles de la terre seront bénies grâce à toi’’.

Soulignons dans ces paroles, que c’est uniquement au pays indiqué que cette prédiction est appelée à se réaliser.

 

 

Grand Rabbin Chalom Benizri.