BÉRÉCHITE (Genèse)
CHÉMOT (Éxode)
VAYIKRA (Lévitique)
BAMIDBAR (Nombres)
DÉVARIM (Deutéronome)

 

BÉRÉCHITE (Genèse)
 

 

 

La faute de Noé 

Le prophète Isaïe s’adresse à la terre de Sion, la terre d’Israël, qui a la douleur d’être abandonnée de ses enfants. Elle a été détruite ainsi que le Temple, et le peuple d’Israël dispersé parmi les nations. Comme pour le déluge, cette catastrophe nationale devait lui permettre de se purifier et de se racheter. 

Ces paroles de consolation du prophète rappellent le cataclysme diluvien et le déferlement des eaux torrentielles, en les qualifiant ‘’eaux de Noé’’.

Ce qui laisse sous-entendre la culpabilité inhérente à Noé dans le déluge. Noé aurait manqué, disent nos Sages, d’intercéder auprès de l’Eternel et de solliciter ses faveurs pour qu’il épargne toute l’humanité. En d’autres mots, Noé s’est rendu coupable de non-assistance.  Mais que pouvait-il faire, après que D… l’ait informé de son décret de mettre terme à cette créature décadente ? Aurait-il pu implorer l’Eternel de détourner son regard des exactions qui ont empli la terre ? De la violence meurtrière et de l’idolâtrie ?

Pour illustrer notre propos, reportons-nous à cet enseignement de la Thora concernant l’homicide involontaire.

La personne reconnue coupable d’homicide involontaire par le tribunal, était condamnée à être assignée à résidence pour son salut, dans la ville de refuge la plus proche. Cette personne devra demeurer là jusqu’à la mort du Grand-Prêtre. A cela nos Sages ajoutent, dans la Michna : ‘’Les mamans des Grands-Prêtres veillaient attentivement à pourvoir au bien-être de ces personnes condamnées. Elles leur dispensaient vêtements et nourriture, afin de leur être agréables et qu’elles n’implorent pas de l’Eternel la mort du Grand-Prêtre (traité Makot chap. 2, Michna 6).

Le Talmud marque son étonnement quant à l’efficacité de la prière de ces hommes condamnés pour homicide involontaire, et qui parviendraient par leur sollicitation à l’Eternel, à hâter la mort du Grand-Prêtre. Ne serait-ce pas là appeler de ses vœux une malédiction gratuite à l’égard d’une personne innocente ?  N’est-ce pas à ce propos que le roi Salomon nous assure que ‘’…. La malédiction gratuite retombe sur celui qui l’a lancée’’ (Prov. 26 – 2), et d’expliquer qu’effectivement le Grand-Prêtre porte, à un certain degré, une responsabilité vis à vis de ces personnes condamnées à être assignées à résidence dans une ville de refuge (Makot 11 a).

En effet le Grand-Prêtre a la charge, dans sa mission sacerdotale, de contribuer à élever le niveau spirituel, moral et social de la communauté. Aussi, toute entrave à l’avènement de cet état idyllique de l’individu au sein de la collectivité, lui est imputable. C’est pourquoi la condamnation à l’exil en la ville de refuge de la personne responsable d’un homicide involontaire, lui est quelque peu reprochée.

Le Midrach rapporte qu’Adam, le premier homme, dès qu’il a offert son sacrifice, a été investi du rôle du Grand-Prêtre, et revêtu des vêtements de celui-ci, qu’il a transmis à Cheth, puis à Metouchelakh, et à Noé.

Elevé à cette dignité, Noé était donc en devoir d’élever une ardente prière à l’Eternel et de solliciter sa miséricorde. Et bien que l’Eternel ait déclaré :’’Voici que je détruis la terre’’, et que cette parole ne peut devenir caduque, le sens qui lui est attribué peut être orienté différemment.

 Cette réflexion se trouve illustrée notamment dans le décret de l’Eternel arrêté au sujet de la ville de Ninive. En effet, le verdict ainsi libellé : ‘’Dans quarante jours Ninive sera anéantie’’ (Jonas 3 – 4), prend le sens d’un renversement de situation. Non pas celui d’une perversité qui les conduisait à une catastrophe inéluctable, mais bien au retour à des valeurs morales, lorsqu’ils effectuèrent la repentance dont la conséquence heureuse fut l’anéantissement, soit l’abandon de l’immoralité qui faisait peser sur eux la menace de destruction. 

Ainsi, la prière peut avoir un effet bénéfique. C’est cette idée que développe Maïmonide en déclarant :’’Il n’est pas donné à l’homme de connaître les événements à venir ; bien qu’ils fassent l’objet d’une prédiction, il ne peut les appréhender, parce que le pouvoir nous est donné d’élever le monde par nos prières, notre moralité et notre spiritualité, et de faire de telle sorte que les prophéties de la délivrance se réalisent promptement pour nous et pour toute l’humanité. Amen.

 

 

 

L’esprit et les sens

 

‘’Noé entra avec ses fils, sa femme et les épouses de ses fils dans l’arche devant les eaux du déluge’’(Gen. VII – 7). 

Selon l’explication de Rachi, l’expression choisie ‘’devant les eaux du déluge’’ contient en filigrane la menace devant laquelle Noé se conforma aux ordres divins, ce qui lui vaut d’être qualifié de ‘’faible croyant’’ puisqu’il ne s’abrita dans l’arche que poussé par les eaux menaçantes du déluge. D’aucuns prennent la défense de Noé et interprètent cette expression non pas ‘’devant la menace’’, mais ‘’de peur des eaux du déluge’’ qui allaient déferler et dévaster le monde.

L’explication de Rachi est des plus surprenante. Comment pouvons-nous taxer Noé d’être ‘’un faible croyant’’ alors que la Thora le qualifie d’homme juste, parfait dans sa génération, marchant avec D… 

Comment peut-on penser cela d’un tel homme qui a su conserver sa pureté morale au milieu de toutes les tentations et séductions qui l’entouraient. Noé n’avait-il pas tourné le dos à la dépravation et à la perversion de son siècle. Et de plus, comme en témoigne le Midrach, n’a-t-il pas consacré cent-vingt années de son existence à construire l’arche, subissant les moqueries et les railleries de tout son entourage. Et voilà qu’à l’instant où il devait entrer dans l’arche, il est saisi d’hésitation. Et  cela est attribué à un manque de foi. Pour dissiper cet étonnement, portons notre réflexion sur la notion de croyance. Celle-ci comprend deux aspects qui ne vont pas forcément de pair : le premier, la croyance qui se situe sur le plan de l’intellect et le second, celui qui procède des sens. Pour clarifier notre sujet, prenons l’exemple courant de l’homme de foi, pour qui le grand mérite qui résulte de la réalisation d’une seule mitzva a une valeur inestimable surpassant tous les trésors de ce monde. La foi qui anime cette personne est du domaine de la pensée, de l’intellect et non des sens. Nulle représentation palpable du bonheur qui lui est réservé en dépôt chez l’Eternel ne lui est perceptible, car celle-ci n’est pas au niveau des sens. Auquel cas, il aurait ressenti, suite à la pratique de la mitzva, une joie débordante, telle que la personne qui aurait gagné le gros lot et qui jubile de tout son être. 

Chez Noé la connaissance de l’arrivée du déluge était évidente, sans l’ombre d’un doute. Il est convaincu que l’imminence de l’instant fatidique ne souffrira d’aucun retard et néanmoins il avait tardé à entrer dans l’arche jusqu’à ce qu’il fut poussé par les eaux du déluge. Noé souffrait de l’absence d’une vibration interne, de la terrible désolation qui allait suivre. Il aurait ressenti alors l’effroi et se serait encouru pour se réfugier dans l’arche. Noé a attendu, pensant et espérant que malgré tout D… accordera sa grâce. La croyance de Noé reposait sur l’intellect, et de ce point de vue sa conduite était sans reproche. Il n’avait nulle obligation de rentrer précipitamment dans l’arche et de continuer à espérer en la miséricorde. Bien qu’il fut animé d’une foi profonde, celle-ci n’avait pas atteint le fond de son cœur. 

C’est cette faille que Rachi dénonce et qu’il qualifie de faiblesse. 

Pour connaître la foi profonde en notre être, il faut l’éprouver également à travers l’animation des sens, la joie intime que nous procure la réalisation de la volonté divine. C’est alors que l’on peut affirmer ‘’Je crois d’une foi parfaite’’.

 

 

Regarder sans voir

 

Le Talmud énonce tel un verdict:''Toute personne qui ne prend pas garde de ne pas porter atteinte à la gloire de son créateur, il aurait mieux valu pour elle qu'elle ne vienne pas au monde'' (Haguiga 16 a).

De quelle sorte d'atteinte s'agit-il ?    interroge le Talmud.  

Rabbi Abba dit: ''Celui qui observe fixement l'arc-en-ciel, conformément à cette parole du prophète Ezechiel: ''tel l'aspect de l'arc-en-ciel qui se forme dans la nue en un jour de pluie, tel apparaissait ce cercle de lumière, c'était le reflet de l'image de la gloire de l'Eternel...'' (Ez. I - 28). 

Est-ce à dire que le Talmud établit une similitude quelconque entre  l'arc-en-ciel et le Saint béni soit-Il? N'est-il pas incorporel, n'échappe-t-il pas à la perception du sens de la vue des êtres de chair et de sang?  Quel est le sens  du reflet de lumière de l'Eternel à travers l'image de l'arc-en-ciel?  

Le Talmud veut insinuer que la personne qui assiste à cette manifestation cosmique, résultant de la dispersion de la lumière solaire par réfraction et réflexion dans les gouttelettes d'eau,  et qui n'y décèle pas la grandeur du créateur  n'y voyant qu'un effet naturel manifestement d'une grande beauté de par la symphonie des couleurs du spectre, porte atteinte à la gloire de son créateur et fait preuve d'un manquement dans sa foi en l'Eternel. 

Le Talmud poursuit en rapportant les paroles du maître Rich Lakich qui ajoute sous forme de sentence: ''Toute personne qui regarde fixement les trois choses suivantes: l'arc-en-ciel, le visage du président d'un tribunal rabbinique, et les prêtres dans l'exercice de leurs fonctions, atténue l'acuité de sa vue. 

En ce qui concerne l'arc-en-ciel, rappelons l'enseignement rapporté plus haut. Certes, la splendeur de cette manifestation naturelle devrait par dessus les considérations d'ordre physique, offrir à la personne , l'occasion d'une méditation qui la conduirait à une vision spirituelle , intellectuelle et sentimentale, soit à la proximité du créateur tout puissant. 

Rich Lakich ajoute à cela que la grandeur et la magnificence divine ne doivent pas être perçues uniquement à travers la révélation de l'oeuvre du créateur et la splendeur des phénomènes naturels  tels que l'arc-en-ciel.  La sensibilité d'ordre spirituel , intellectuel et sentimental, doit participer  également à la reconnaissance  de la présence divine dans l'univers. C'est pourquoi Rich Lakich associe également à la vue  de l'arc-en-ciel, celle d'un maître , d'un président de tribunal rabbinique qui inspire le génie de la Thora et du savoir, celui de l'intellectuel brillant, d'un cerveau comme on dit communément, et qui communique son savoir et éclaire ses disciples. C'est ce rayonnement qui a conduit nos Sages à instituer une bénédiction, soit une expression  de gratitude à l'Eternel à la vue d'un grand maître de la Thora: ''Toi D... Tu es la source, notre D... Roi de l'univers qui a donné de ta sagesse en partage à ceux qui te témoignent de la déférence''. Et à la vue d'un savant des autres nations, la bénédiction est clôturée par ces termes:''Tu as donné de ta sagesse à un être de chair et de sang''. C'est ce sentiment de bonheur qui envahit l'esprit et le coeur à la vue de l'homme doté du savoir, que le maître Rich Lakich met en exergue. Rich Lakich inclut également dans sa sentence l'admiration et la plénitude que procure aussi la vue d'un cohen accomplissant son service sacerdotal. L'émotion suscitée à la vue du cohen dont chacun des gestes est voué au service de l'Eternel et du peuple d'Israël, éveille en le spectateur la conviction de la proximité de la présence divine. Aussi, un regard vide ne distinguant que les éléments extérieurs, que la physionomie du maître, ou l'harmonie des gestes du cohen, perd l'essentiel du message que recèle la vision qui s'offre à lui, et ainsi il porte atteinte à l'Eternel et en quelque sorte perd de l'acuité de son regard.

 

Grand Rabbin Chalom Benizri.