BÉRÉCHITE (Genèse)
CHÉMOT (Éxode)
VAYIKRA (Lévitique)
BAMIDBAR (Nombres)
DÉVARIM (Deutéronome)

 

 

La génération du désert  et le monde à venir

‘’Dans ce désert, ils seront achevés, et là ils mourront’’ (Nbres XIV –35).

La Thora invective les explorateurs suite à leur coupable médisance. Nos Sages du Talmud  concluent de là : la génération du désert n’a pas part au monde à venir, au ‘’olam Haba’’. (Sanhedrin 110 b) 

Qu’est-ce que le monde à venir ? Est-ce la vie de l’âme ? Le souffle de vie suprême ?

Pour définir ce concept ‘’olam haba’’, précisons avant tout ce que l’on entend par ‘’olam hazé – le monde présent’’, celui d’ici-bas, qui concerne chacun individuellement, et qui est limité par le temps calculé en rapport avec le mouvement dans l’espace ou avec le rythme biologique.  Comme dit le psalmiste : ‘’Les jours de nos années sont septante ans, ou dans leur vigueur quatre-vingts ans’’(Ps. XC – 10). Cette limite de notre existence terrestre nous est individuelle et personnelle. Par contre, la collectivité, la nation, connaît une existence qui s’étend d’une génération à l’autre, et se perpétue au-delà du temps et de l’espace. Comme dit l’Ecclésiaste : ‘’Un cycle va, un cycle vient, en pérennité la terre se dresse’’ (Eccl. I – 4).

Ainsi, chaque personne connaît une double vie ; celle qu’elle réalise sur le plan individuel et personnel, et celle qu’elle développe en sa qualité d’un élément particulier appartenant à l’ensemble de la communauté. Vu sous cet angle là, cet individu est inséré dans l’ensemble et vit dans la continuité ininterrompue et permanente de la communauté à laquelle il appartient. Sa survie est due en quelque sorte à la pérennité de la nation, fondée sur l’adhésion des membres qui la constitue. En d’autres termes, alors qu’une personne prise isolément connaît une existence passagère et des mutations et rapport avec sa condition humaine, l’appartenance à sa génération l’attache et l’enchaîne à la génération montante. 

Il appartient dès lors au monde à venir. C’est lorsqu’il mène une vie de reclus et se met en retrait par rapport à sa communauté, que sa vie se trouve réduite à celle de l’individu coupé du monde extérieur, de la communauté qui le porte, pour devenir une personne de passage qui n’a pas part au monde futur. Or, la terre d’Israël constitue le ‘’makom – le lieu’’ destiné à la nation juive dans son ensemble. On ne peut parler de peuple juif qu’en Israël et non en dehors ; car c’est là que nous avons une existence  en tant que peuple,  et une réalité en tant que nation. C’est pourquoi celui qui appartient à l’ensemble du peuple d’Israël est de facto lié à cette terre, et vice versa, celui qui est attaché à cette terre, fait partie nécessairement du peuple juif. Nous pouvons conclure que le peuple d’Israël et sa terre forment un même corps, une même entité. Et de même que l’assemblée d’Israël est promue à une vie éternelle, son devenir concerne également la terre d’Israël. C’est pourquoi nous disons dans la prière du samedi après-midi ce texte du livre des Chroniques : ‘’Tu es UN et ton nom UN’’ 

(I Chr. XVII – 21). La mention ‘’une nation UNE sur la terre’’ souligne que c’est uniquement dans le pays d’Israël que nous sommes une nation unie et non une entité unique. Car la terre fait de chaque individu un élément de l’ensemble. Et c’est pourquoi, rejeter la terre d’Israël par la médisance notamment,  c’est  faire  fi   de cette 

entité, de cette pérennité ; et par voie de conséquence, du monde à venir. Rappelons ce verset de la Thora : ‘’Tu as distingué aujourd’hui le Seigneur pour en faire ton D…, pour marcher dans ses voies, observer ses lois, ses commandements et ses préceptes, écouter sa voix ; et le Seigneur t’a distingué à ton tour, aujourd’hui, afin que tu sois son peuple d’élection…’’        (Deut. XXVI – 17,18).

Le Midrach dit à propos de ces paroles de la Thora : ‘’D… dit à Israël : vous avez fait de Moi une pièce unique dans le monde en proclamant : Ecoute Israël, l’Eternel notre D…, l’Eternel est UN ! ‘’ A mon tour Je ferai de vous une pièce unique dans le monde’’ (Deut. VI – 4).  Comme il est dit : ‘’Qui est comme ton peuple, nation UNE sur la terre’’ (I Chroniques VII – 21).

 

L’attribut du Juif 

La lettre : illustration par le ‘’youd’’ י

La lettre hébraïque est une émanation de l’infini, du monde spirituel. Elle prend source dans le point absolu démuni de forme et de corps. Projetée dans le dimensionnel, elle est revêtue d’une morphologie. 

La lettre brisée résulte de l’expansion du point initial et sa projection dans l’espace temporel donne naissance aux vingt-sept corps de lettres que compte l’alphabet hébraïque. La composition de chacune d’elles  découle d’une entité et d’un caractère spécifique lié à sa nature révélée.

La calligraphie de la lettre hébraïque est soumise à des règles précises et rigoureuses, dont les principes de base sont :

-Le respect scrupuleux de l’intégralité du corps et de l’esprit de la lettre : une lettre brisée  métamorphosée ou non réfléchie, perd son caractère.                                                                                                                  

-L’espace de la lettre dans lequel elle baigne lui est réservé. L’intrusion de tout élément dans les limites l’enveloppant, asphyxie la lettre et la prive de sa vitalité. C’est pourquoi toute lettre défend jalousement son espace et refuse toute immixtion d’une autre dans son domaine privé.

-Toute interférence étrangère à sa constitution originelle ‘’feu noir sur feu blanc’’ altère son message.

-Par la plume de roseau du règne végétal comme par la  plume de volaille autorisée du règne animal, s’exerce l’habileté du scribe pour orner le parchemin préparé à cet usage du langage combien sublime du tracé de la lettre.

Les lettres hébraïques sont à la source de toute chose créée et constituent les éléments de la révélation première. Elles déterminent les tendances et les orientations fondamentales de la vie. La lettre désignée en hébreu ‘’Oth’’ (signe  אות) signifie la pensée de l’homme pour en libérer  toute sa puissance créatrice et son potentiel spirituel.

Le message qu’elle véhicule et le sens qu’elle développe dans ses relations multiples pour former le verbe créateur, tiennent à son essence originelle, dont le youd est l’élément fondamental.

En effet, le youd est la lettre qui constitue l’essence des vingt-six autres lettres de l’alphabet. Il est l’étalon de la lettre hébraïque.

Le point originel projeté en contact des pressions auxquelles il est soumis dans le monde dimensionnel, épouse la forme d’une larme, d’une goutte d’eau.  En effet l’écriture du youd se développe à partir du point, celui-ci se projette en une droite qui s’étale vers l’Est en balayant un espace harmonieux qui lui donne corps et s’étire en s’inclinant vers le bas pour former une pointe orientée vers le corps de la lettre, ainsi que le décrit la réglementation traditionnelle relative à la calligraphie imposée au scribe.

Dans sa configuration, le youd présente une tête surmontée d’une couronne, un corps et un membre qui le porte. Par son orientation dirigée vers le haut, le youd est dans l’ordre séphirotique, de sa projection à sa réalisation, à la fois émanation et royauté, autrement dit prémisse et aboutissement. C’est la raison pour laquelle, partant de la lettre alef, il réalise pleinement son autonomie à la dixième lettre de l’alphabet pour désigner immédiatement l’attribut de royauté  מלכות   que composent les lettres  מ-ל-כ lui succédant dans l’ordre. C’est le pouvoir qu’exerce le youd en se servant de l’entité de kaf et du lamed (yakhol : pouvoir)  יכל  pour s’offrir à son tour comme réceptacle  כלי  kéli de toutes les  multiples combinaisons de l’alphabet.

Il est une tradition qui consiste à initier l’enfant juif à l’écriture par le youd qui est en fait son attribut.

 

L’état premier de l’homme

Maïmonide rapporte dans son livre ‘’Le guide des Egarés’’ l’objection qu’un homme de science lui avait formulée à propos de l’état premier de l’homme :’’Il paraîtrait d’après le sens littéral du texte de la Thora, que l’intention première lors de la création de l’homme, était que celui-ci fut comme le reste des animaux, sans intelligence et sans réflexion, et sans savoir distinguer entre le bien et le mal. Mais qu’ayant désobéi, sa désobéissance lui mérita cette grande perfection particulière à l’homme, c’est-à-dire de posséder ce discernement qui est en nous, qui est la chose la plus noble de notre existence et qui constitue notre substance. Mais c’est là une chose étonnante que sa punition pour sa désobéissance ait été de lui donner une perfection qu’il n’avait pas eue, à savoir l’intelligence.’’

A cela, Maïmonide répond en ces termes :’’La raison que D… a fait émaner sur l’homme et qui constitue sa perfection finale, est celle qu’Adam possédait avant sa désobéissance ; c’est pour elle qu’il a été dit de lui qu’il était fait à l’image de D… et à sa ressemblance. Et c’est à cause d’elle que la parole lui fut adressée et qu’il reçut des ordres , comme dit la Thora :’’Et l’Eternel D… ordonna à l’homme : tous les arbres du jardin tu peux t’en nourrir, mais l’arbre de la science du bien et du mal, tu n’en mangeras point, car du jour où tu en mangeras, tu dois mourir !’’(Gen. II – 16). Car, dit maïmonide, on ne peut pas donner d’ordre aux animaux ni à celui qui n’a pas de raison. Par la raison, on distingue entre le vrai et le faux ; et cette faculté, Adam ha richone, le premier homme, la possédait parfaitement et complètement. Mais le laid et le beau existent dans les choses des opinions probables, et non dans les choses intelligibles ; car on ne dit pas que cette proposition ‘’le ciel est sphérique’’ soit belle ; ni que cette autre ‘’la terre est plane’’ soit laide. Mais on appelle l’une vraie et l’autre fausse. Ainsi dans notre langue on emploie en parlant du vrai et du faux, les mots ‘’emeth’’ et ‘’cheker’’, et pour beau et laid on dit ‘’tov’’-bon, et ‘’ra’a’’-mauvais. Par la raison donc, l’homme distingue le vrai du faux, et ceci a lieu dans toutes les choses intelligibles. Ainsi donc lorsque Adam était encore dans son état le plus parfait et le plus complet, n’ayant que sa nature primitive et ses notions intelligibles à cause desquelles il a été dit de lui : ‘’Et tu l’as placé peu au-dessous des êtres divins’’ (Ps. VIII – 6), il n’y avait en lui aucune faculté qui s’appliquât aux opinions probables d’une manière quelconque ; et il ne les comprenait même pas. De telle sorte que ce qu’il y a de plus manifestement laid par rapport aux opinions probables , c’est-à-dire de découvrir les parties intimes, n’était point laid pour lui et il n’en comprenait même pas la laideur ! Mais lorsque , désobéissant il pencha vers ses désirs venant de l’imagination et vers les plaisirs corporels de ses sens, comme exprimé dans le texte :’’que l’arbre était bon pour en manger et qu’il était un plaisir pour les yeux’’ (Gen. III – 6), il fut puni par la privation de cette compréhension intellectuelle. C’est pourquoi il transgressa l’ordre qui lui avait été donné, à cause de sa raison, et, ayant obtenu la connaissance des opinions probables, il fut absorbé par ce qu’il devait trouver laid ou beau. Et il connut alors ce que valait la chose qui lui avait échappé et dont il avait été dépouillé et dans quel état il était tombé. C’est pourquoi il a été dit : ‘’Et vous serez comme des elohim connaissant le bien et le mal. Et on n’a pas dit : connaissant le faux et le vrai ; tandis que dans le domaine du nécessaire, il n’y a pas du tout de bien et de mal, mais du faux et du vrai’’ .

Maïmonide invite le lecteur à considérer cette autre parole de la Thora : ‘’Et les yeux de tous les deux s’ouvrirent et ils reconnurent qu’ils étaient nus’’. Le texte ne dit pas : et les yeux de tous les deux s’ouvrirent et ils virent’’, car ce que l’homme avait vu auparavant, il le voyait aussi après. Ce n’est pas qu’il y ait eu sur l’œil un voile qui ensuite ait été enlevé, mais il lui survint un autre état dans lequel il trouvait laid ce qu’il n’avait pas trouvé laid auparavant. Maïmonide fait remarquer que le mot ‘’pekah’’- ouvrir les yeux , ne s’emploie absolument que dans le sens d’ouvrir la vue morale, et ne se dit pas de la renaissance du sens de la vue. Ainsi par exemple, l’expression :’’Et D… lui ouvrit les yeux’’(Gen. XXI – 19), ou encore ces mots du prophète Isaïe :’’Alors les yeux des aveugles seront ouverts’’(Is. XXXV – 5) – etc…

Nous pouvons conclure d’après cet enseignement de Maïmonide que la connaissance du bien et du mal est une dégradation de l’état initial du niveau de l’homme. Il a pour ainsi dire échanger les valeurs permanentes et éternelles, le vrai et le faux, contre des jugements de valeurs propices à des changements selon les inclinaisons de l’homme. L’homme n’était pas apte à saisir le changement fondamental qui s’est produit en lui ; mais D… savait qu’il est tombé dans la condition de l’être mortel. Cette ligne de pensée de Maïmonide est reprise par de nombreux exégètes et des maîtres à penser, qui s’entendent pour dire que nos considérations humaines résultent de notre éloignement de la connaissance supérieure de la vérité et du mensonge.

 

 

 

Grand Rabbin Chalom Benizri.